Elle se répand en cette période de manifestations, aussi bien dans les réseaux sociaux que dans la rue. Certains ont réclamé la guillotine contre le Président. D’autres ont mis une effigie à son image sur une voie ferrée, de façon qu’un train l’écrase, etc.
Vu sa violence irrépressible, il semble qu’elle prenne en premier lieu possession d’un être tout entier, avant même de se porter sur tel ou tel, qui n’est que le prétexte à son déchaînement. On peut en dire ce que Sénèque dit de la colère, dans le De ira : « Ira furor brevis – La colère est une brève folie » Sans doute aussi la haine est-elle attisée par l’entraînement propre à la foule, et le relatif anonymat que cette dernière procure.
Comme le dit l’adage anglais : « Hate is not an opinion – La haine n’est pas une opinion. » Tout simplement parce qu’elle est irrationnelle. Il faut s’en méfier quand elle emporte toute mesure. Il en est une certaine sorte qui nous met au-dessous de ce que nous haïssons, et cela, si fondés que puissent être nos griefs au départ.
Dans le cas précis, il s’agit sûrement de l’obsession, très fréquente dans toutes les révolutions, d’une égalité portée à son point extrême, analysée par Montesquieu dans L’Esprit des lois comme pathologie majeure de toute démocratie : l’esprit d’égalité devient égalitarisme, et comme le brigand Procuste avec son fameux lit, on veut tout soumettre à la même toise, et pour cela araser tout ce qui dépasse, couper des têtes, y compris physiquement. Dostoïevski a décrit ce comportement dans Les Possédés, évoquant la venue des « terribles niveleurs », avec le personnage de Chigaliov.
Tocqueville aussi, dans De la démocratie en Amérique, a souligné un paradoxe : la haine que les hommes portent aux privilèges est plus forte quand les inégalités diminuent. Quand elles sont nombreuses, on les remarque moins. Mais celles qui restent choquent davantage. Et c’est bien le cas dans la société actuelle.
L’invidia democratica, l’envie ou la haine démocratique constitue un bel exemple de ressentiment, au sens où le prend Nietzsche dans La Généalogie de la morale. Voyez comment Flaubert, dans L’Éducation sentimentale, décrit l’invasion des Tuileries par la foule lors de la Révolution de 1848 : « Des galériens enfoncèrent leurs bras dans la couche des princesses, et se roulaient dessus, faute de ne pouvoir les violer. » Certes si la révolte peut être sainte, l’envie est hideuse.
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