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omme il y a des promotions-canapé, il y a des promotions-placard. Par exemple d’un syndicaliste gênant pour le pouvoir on fera un ministre, et désormais il ne gênera plus. Souvent se vérifie l’adage latin : Promoveatur ut amoveatur – Qu’il soit promu pourvu qu’on s’en débarrasse !
Il en est de même me semble-t-il pour la promotion dont Jésus a fait l’objet au fil du temps, au point d’être, assurément malgré lui, à la fin divinisé. Là encore je pense au mot de Caracalla, qui admit l’apothéose de son frère Geta assassiné par lui, en disant : Sit divus dum non sit vivus – Qu’il soit un dieu pourvu qu’il ne soit plus vivant !
Celui qui disait encore : « Le Père est plus grand que moi » (Jean 14/28), donc qui se situait au-dessous du Père, se contentant d’être un exégète de sa parole (Jean 1/18), est devenu à Nicée, en 325, consubstantiel au Père, c’est-à-dire de même substance que lui, finalement égal à lui en importance. Désormais on a moins écouté ses paroles qu’on n’a baissé la tête devant lui. Et son message, son enseignement ont été désamorcés. Ils ne figurent plus d’ailleurs, et c’est très significatif, dans le Credo chrétien.
C’était un message de libération, tel qu’on le voit encore dans les Béatitudes évangéliques. Il pouvait donner espoir aux hommes. Jésus n’y était qu’un prophète, essentiellement de la Justice, et un prophète se situe toujours au-dessous de la Parole qu’il porte.
Mais lorsqu’il est devenu, d’abord avec Paul qui ne l’a pas connu et à mon avis l’a totalement instrumentalisé, le Messie crucifié pour le salut des hommes, et ensuite au fil des différents conciles la seconde personne de la Trinité, ce qu’il est aujourd’hui dans le christianisme majoritaire, alors toute velléité de rébellion sociale et politique a disparu dans le cœur des hommes. Celui qui n’était à l’origine que Fils de Dieu est devenu Dieu le Fils. Or on ne se révolte pas devant un Dieu : on l’adore seulement. [v. Trinité]
En suite de quoi l’Église chrétienne a pris le relais, et d’un Dieu mandant elle s’est instituée mandataire. Il va de soi qu’on ne se rebelle pas non plus contre une Institution qui se réclame d’un Dieu, contre une théocratie, et qui de cette délégation divine tire son pouvoir sur les esprits et les âmes.
J’ai pensé à tout cela en lisant les récentes instructions papales pour une nouvelle évangélisation. Dans son discours du 13 juin 2011, en la basilique de Saint-Jean de Latran, Benoît XVI a déclaré : « Si les hommes oublient Dieu, c’est parce que l’on tend souvent à présenter Jésus seulement comme un homme sage et à affaiblir voire nier sa divinité ». Que n’a-t-il écouté davantage l’Histoire et ses mises en perspective ! Mais il est vrai qu’on est toujours réticent à admettre ce qui va contre ses propres intérêts, et à scier la branche sur laquelle on est assis…[1]
Article paru dans Golias Hebdo, 14 juillet 2011
[1] Sur le double statut de Jésus, on peut voir mon livre Les Mystères du Credo – Un christianisme pluriel (versions papier et e-book). - Voir la présentation ci-dessous :
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