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ans une récente interview au Figaro, notre président a dit : « La France a des racines chrétiennes, et même judéo-chrétiennes, c’est une réalité historique qu’il serait absurde de nier ! Voyez le long manteau d’églises et de cathédrales qui recouvre notre pays…»
Bien sûr notre chanoine de Latran va satisfaire les traditionnalistes. Le problème toutefois n’est pas de l’existence chez nous des monuments religieux, mais celui de la signification qu’ils incarnent, riche d’ambiguïtés, et donc celui de l’opportunité de la déclaration présidentielle dans un pays laïque.
Le christianisme, ou le judéo-christianisme comme il est dit ici, comporte dans ses textes fondateurs des strates rédactionnelles très différentes, dont certaines sont très pacifiques et tolérantes, mais d’autres au contraire d’une extrême violence et agressivité.
Voici deux passages entre maints autres. Dans la Bible juive, Dieu dit : « Moi, le Seigneur ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, qui punis l’iniquité des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et la quatrième génération de ceux qui me haïssent. » (Exode 20/5)
Et dans le Nouveau Testament chrétien, Jésus dit : « Les fils du royaume seront jetés dans les ténèbres du dehors, où il y aura des pleurs et des grincements de dents. » (Matthieu, 8/12) Or ces « fils du royaume » sont les juifs, ce qui problématise bien l’idée de « judéo-christianisme », et a pu alimenter vingt siècles d’antijudaïsme chrétien. – À côté de cela aussi innombrables sont les passages disant que la colère de Dieu s’abattra sur les non-croyants en général. Bref, rien ici d’apaisé et d’« humaniste ».
Aussi, si belles que soient cathédrales et églises avec leur « long manteau », elles ne peuvent faire oublier certains passages des textes fondateurs, que l’on a gardés dans le canon du christianisme majoritaire, au mépris des options de ceux qui auraient voulu les en expurger, et qui, tels Marcion ou les Gnostiques par exemple, ont été décrétés hérétiques.
On nous dit que ces passages n’ont de sens que dans un certain contexte historique. Mais pourquoi avoir couru le risque de les garder, et de les voir interpréter littéralement encore aujourd’hui par certains esprits et dans certains milieux fondamentalistes ? La sagesse politique, devant de telles ambiguïtés, est de s’en tenir à l’écart, et de respecter en ce domaine une stricte laïcité, dont la ligne jaune me semble ici avoir été franchie.
Article paru dans Golias Hebdo, 1e mars 2012
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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