Un rituel vient de faire retour au Japon après avoir été interrompu pendant quatre ans de pandémie. Il s’agit du « sumo des pleurs », où des bébés, tenus par leurs parents, portant le pagne des lutteurs sumo, s’affrontent sur le dojo d’un temple : on veut savoir qui gagnera en pleurant le plus fort. Une vidéo de la scène est visible sur Internet (Source : https://www.dailymotion.com/video/x8kbdv5).
L’organisateur de l’événement, tout en admettant qu’il peut être choquant pour un œil extérieur de faire pleurer exprès les bébés, assure qu’« au Japon on croit que les bébés qui pleurent fort grandissent aussi en bonne santé ».
Cet usage me semble d’un grand intérêt psychologique. Autant que nous pouvons le voir dans les représentations qui nous parviennent de cette culture, il semble que les êtres y sont corsetés dans beaucoup de comportements faits de politesse et de déférence, qui évidemment impliquent grande contention et self control. Il est donc normal que par réaction à cette autocensure constante soient valorisés leur opposés, à savoir les cris et les pleurs. Les cris des bébés peuvent bien augurer symboliquement de ce que sera leur vie future, équilibrée entre répression nécessaire et, également nécessaire aussi, l’extériorisation (ritualisée) des émotions.
Cette leçon nous concerne aussi. Combien de fois chez nous le savoir-vivre empêche-t-il de vivre ! Le processus de civilisation est répressif, et à force de s’autocontrôler, on se détruit. Voyez le destin de Fritz Zorn, l’auteur du très impressionnant récit autobiographique Mars. Frappé par un cancer, qui l’a emporté sitôt fini son livre, il en accuse ses parents et l’éducation rigoriste, BCBG, qu’il a reçue. Son milieu, le protestantisme suisse allemand, l’a tellement inhibé qu’il a tourné contre lui-même l’agressivité qu’il ne pouvait tourner à l’extérieur. On pourrait en dire autant de l’anorexie des jeunes filles.
Quand du fait des convenances imposées on ne peut pas pleurer, crier, qui sont des modalités du dire, le corps parle à notre place. Maladie : mal à dire. On dit bien chez nous que pleurer fait du bien. Beaucoup au contraire se pleurent en-dedans pour ne déranger personne. Ainsi Henri Calet : « Ne me secouez pas, je suis plein de larmes. » Mais le lac de retenue grossit peu à peu, jusqu’à ce qu’à la fin le barrage cède. Les torrents de larmes alors peuvent tout emporter, mais il est trop tard.
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