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est la bête noire du pape actuel. Manifestement il appelle à rester inébranlable dans la foi qu’on a reçue, et à ne pas céder aux sirènes d’autres religions ou spiritualités, pas plus qu’à l’agnosticisme ou à l’athéisme : toutes ces positions à l’en croire ne se valent pas.
Sans doute ne peut-il rien dire d’autre, puisqu’il tire son existence même de ce qu’il préconise, qu’il y aurait grand danger pour lui à révoquer en doute. Cela me rappelle une parole cynique d’un professeur de théologie : « Il faut bien que Dieu existe, puisque j’en vis ! »
Mais plus profondément, il me semble qu’on ne peut nier que cette foi qu’on nous propose nous a été imposée par les contingences mêmes de notre naissance. La parole de mon cher Montaigne, le relativiste par excellence, me semble irréfutable : « Nous sommes chrétiens au même titre que nous sommes Périgourdins ou Allemands. » Si nous étions nés en Inde, nous serions hindouistes. En Chine, confucianistes ou taoïstes. Au Japon, shintoïstes ou bouddhistes, ou les deux à la fois, etc.
Ce poids de l’héritage qui nous modèle malgré nous, c’est ce que les Allemands appellent Kultur. À l’âge adulte, lui succède son réexamen critique, tantôt pour son abandon, tantôt pour sa correction, et tantôt pour sa réhabilitation, mais dans un sens autre que celui qui nous a été imposé : cette formation de soi par soi est ce que les Allemands encore appellent Bildung.
Kultur et Bildung sont ainsi les deux faces de la culture : l’héritage d’abord reçu et subi, et ensuite sa réévaluation, qui inclut évidemment l’examen d’autres traditions que la nôtre, donc une ouverture nécessaire vers un certain relativisme. C’est le prix à payer pour grandir.
En gros, la culture-héritage caractérise surtout le monde catholique, où l’on s’efforce de continuer à croire comme quand on était petit. Et la culture-formation caractérise plutôt le monde protestant, où elle prend son origine (l’idée et le mot de Bildung viennent de l’Allemagne majoritairement luthérienne), et où l’on s’occupe surtout de continuer à croire quand on a grandi.[1]
En fait, notre pape veut nous maintenir dans une éternelle enfance. Mais on peut aussi lui répondre que cette foi inébranlable à laquelle il nous enjoint de nous rattacher n’est pas même le dernier mot de la tradition dont il se réclame. Écoutez seulement la parole du père de l’enfant possédé demandant à Jésus de le guérir : « Je crois ! Viens au secours de mon incrédulité ! » (Marc 9/24) De cette parole doutante, la plus précieuse je crois en christianisme, feraient bien de s’inspirer tous les croyants psychorigides, même s’inspirant de l’exemple papal.
Article paru dans Golias Hebdo, 22 octobre 2009
[1] Cette différence entre Kultur et Bildung (les deux faces de la culture), est développée dans mon ouvrage La Culture générale expliquée – Les Clés pour comprendre, éd. BoD, 2018. Voir :
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