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n toute matière elle m’a toujours paru bien moins importante que la question elle-même.
Or ce n’est pas le cas des esprits qui en sont avides, comme ces créationnistes états-uniens regroupés sous la dénomination d’Answers in Genesis (Les réponses sont dans la Genèse). Ils vont ouvrir en 2014 un gigantesque parc d’attractions dans le Kentucky dénommé Ark Encounter (Rencontre avec l’Arche), en référence à l’Arche de Noé, où seront illustrés de façon spectaculaire les épisodes bibliques connus du Déluge, du salut de Noé, de la Tour de Babel, etc. Bref tout le storytelling biblique est pris de façon totalement littérale.
Ce n’est guère étonnant, dans un pays où en 2012 un sondage de l’Institut Gallup a montré que 46 % des états-uniens croient que « Dieu a créé les êtres humains d’un coup, sous leur forme actuelle, il y a plus ou moins 10 000 ans. » (Source : Le Point.fr, 10/05/2013).
Avec ce parc Dieu fait donc concurrence à Disneyland, et Noé à Mickey. Darwin prend la figure du Diable, ou de l’Antichrist. Bien sûr il y a derrière tout cela du business pur. Mais il ne pourrait se développer si les clients potentiels n’avaient la crédulité des enfants, à qui on raconte des histoires, souvent pour les endormir.
C’est bien le cas ici. On ne cesse de vouloir avoir des réponses toutes faites à des questions millénaires et d’une extrême complexité comme celle de notre origine, dont on ne peut admettre qu’elles restent en grande partie encore ouvertes. Cela rassure, donne le confort, délivre du doute que beaucoup ne supportent pas. On oublie la belle parole évangélique : « Seigneur, j’ai foi. Viens en aide à mon manque de foi ! » (Marc 9/24) Cette phrase si essentielle et si profonde est le fil rouge du Sentiment tragique de la vie, de Miguel de Unamuno.
Mais on ne veut pas de ce tragique : à la rigueur des faits on préfère l’irréel des fées. En fait on confond croyance et crédulité. On oublie que le Credo dit : « Je crois en… », et non pas : « Je crois que… ». Ce qui est visé est un acte de foi ou de confiance, venant du cœur, et non pas un état de certitude intellectuelle.
L’essentiel est l’orientation, la direction vers quoi on tend de façon dynamique, non pas la sûreté d’un lieu où l’on se trouve et dont on ne bouge plus. En grec et en latin, pour « en Dieu » le Credo a un accusatif, cas de la direction, et non un datif ou un ablatif, cas de l’immobilité : eis Theon, in Deum. [1]
Flaubert parlait toujours en écriture de l’« ineptie de vouloir conclure », et Gide disait qu’« un beau livre est celui qui sème à foison les points d’interrogation. » J’en suis tout à fait d’accord, et me demande pourquoi la Bible, dont on vante bien présomptueusement l’inerrance, devrait ici faire exception.
Article paru dans Golias Hebdo, 30 mai 2013
[1] Voir là-dessus mon ouvrage Les Mystères du Credo – Un christianisme pluriel :
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