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e Concile de Trente, contre le risque d’une vision purement symbolique du sacrement de l’eucharistie incarné par le protestantisme, a affirmé la réalité effective de la transsubstantiation : une fois prononcées les paroles de la consécration, le pain et le vin sur l’autel se changent réellement en corps et sang du Sauveur.
Ces derniers n’y sont pas en forme de figure (in figura), mais en réalité (in re). Ceux qui prétendent le contraire ont été anathématisés, appelés Figuristes, ou Tropistes (du grec tropos : tour, figure), ou encore Sacramentaires.
Ce réalisme et ce littéralisme, signes d’une crispation identitaire et polémique, n’ont pas toujours existé depuis l’origine du christianisme. Ainsi Augustin disait que corps et sang du Christ étaient présents sur l’autel selon une certaine manière (secundum quemdam modum).
L’eucharistie pouvait encore n’être qu’une anamnèse, un simple mémorial, comme elle peut l’être encore dans le texte inaugural de Paul (première épître aux Corinthiens, 11/24 et 26), sans devenir ce qu’elle fut plus tard, une manducation sacrée.
Notez ici que le symbolique, loin de suivre toujours dans l’histoire le littéral, peut le précéder, exactement comme le dessin des enfants est d’abord symbolique ou mental, avant d’être réaliste ou visuel et basé sur l’observation, selon l’enseignement de l’École qui les invite toujours à prendre la seconde attitude. Spontanément ils dessinent ce qu’ils considèrent comme étant l’important pour eux, ce qu’ils savent donc à l’intérieur d’eux-mêmes, et non pas ce qu’ils voient à l’extérieur.
De la même façon des esprits comme Philon d’Alexandrie, et ensuite Origène, ont d’abord interprété les textes sacrés de façon symbolique. Ce n’est qu’après que la vision littérale a été imposée. On a préféré éblouir les gens par le miracle que les éclairer par le symbole.
Aussi l’Église ne me semble pas bien fondée à critiquer les Tropistes ou les Figuristes, tout simplement parce qu’elle a elle-même pratiqué constamment cette méthode d’exégèse symbolisante ou allégorisante dans sa lecture de la Bible juive. Elle y a vu des figures ou des préfigurations de ses constructions – au point que son annexion du texte juif est apparue à certains comme une captation d’héritage. Elle s’est même affirmée avec Justin comme « Vrai Israël » (Verus Israhel) !
Alors pourquoi ensuite condamner le figurisme, après l’avoir ainsi outrageusement pratiqué ? Deux poids, deux mesures donc : ce que j’ai fait, surtout ne le faites pas !
En vérité, la vraie question qui sous-tend le réalisme eucharistique est la même que celle qui sous-tend toute idée de sacrement. Le miracle ne s’y opère que validé par la personne du prêtre, vrai thaumaturge, et peut donc faire l’objet de tous les chantages. C’est là, sur les âmes et les corps, une pure question de pouvoir.
Article paru dans Golias Hebdo, 30 décembre 2010
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