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e viens de lire que tous les ans, aux îles Philippines, le Vendredi saint est célébré par des crucifixions réelles.
À travers cet événement, aussi traditionnel que sanglant, ce sont les dernières heures de la Passion du Christ qui sont reconstituées. Légionnaires romains en armes, couronnes d’épines, flagellations, entailles aux rasoirs : chaque élément se veut le plus fidèle possible aux dernières souffrances du Christ (Source : Lefigaro.fr, 14/02/2017).
On trouve pareils actes au Mexique, où finalement le Dieu chrétien n’est pas très éloigné de la cruelle divinité mexicaine Quetzalcóatl, qui exigeait en permanence des sacrifices humains.
Ce dolorisme et ce masochisme sont une modalité bien connue et fort ancienne de la dévotion catholique. On la trouve déjà sous forme symbolique dans le Stabat Mater :
« Fac me plagis vulnerari / Cruce hac inebriari / Et cruore Filii.
– Fais que je sois blessé par ses blessures / Que je m’enivre de cette croix / Et du sang répandu de ton Fils »
L’imagination s’hallucine à l’évocation empathique de la scène, maints « Exercices spirituels » y invitent, avec même le concours d’esprits de renom comme Pascal, et il ne faut donc pas s’étonner que de là on aille très vite à l’incarnation dans le réel. On pense à la Passion tuméfiée, vrai match de boxe, du film de Mel Gibson La Passion du Christ (2004).
Assurément il y a là une déviation pathologique de la foi, et cette vision de la Croix, attestée malheureusement par certains textes, est théologiquement contestable.
Mais ce qui surprend en l’espèce, c’est la marchandisation du spectacle. En effet les organisateurs veulent préserver cette tradition pour que les enfants continuent d’y participer, « par dévotion ou pour s’amuser » (même source). En outre spectateurs philippins et touristes étrangers affluent tous les ans : tout au long des chemins de croix se trouvent des vendeurs de boissons fraîches et de gâteaux.
L’imposture de cette pratique est donc double : à la fois vraie folie pour ceux qui y croient, et oubli du sens pour les autres, simple amusement et intérêt commercial.
Article paru dans Golias Hebdo, 8 mars 2018
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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