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illets, s’il vous plaît ! – J’obtempère, et présente au contrôleur mon titre de transport, me souvenant du temps où les compartiments de chemin de fer étant séparés, on entendait d’abord, précédant l’injonction, le petit bruit sec et comminatoire fait par la pince sur la vitre.
Par on ne sait quelle association d’idées, je me suis mis à penser à la parabole des talents (Matthieu 25/14-30). Partant pour un voyage, le maître laisse en dépôt à trois de ses serviteurs, « à chacun selon sa capacité », une somme chiffrée en talents, monnaie de l’Antiquité. De retour, il félicite les deux premiers qui ont fait fructifier, qui les cinq talents confiés, qui les trois.
Mais le dernier, qui a caché le seul talent reçu par peur de le perdre et de ne pas pouvoir le rendre, et le restitue donc à l’identique, est sévèrement condamné par le maître, qui lui ôte le seul talent qu’il a et le donne au premier. « Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a. Et le serviteur inutile, jetez-le dans les ténèbres du dehors, où il y aura des pleurs et des grincements de dents. » (29-30)
Cette parabole m’a toujours impressionné. Il faut donc toujours pouvoir justifier la gestion de ses dons, exactement comme il faut, sur le chemin de la vie, se trouver en état de présenter au contrôleur le titre de transport. Si on ne le peut, on doit payer l’amende, c’est-à-dire être dépouillé de ce peu même que l’on a.
C’est ce qu’on voit aussi dans la formulation admirable mais aussi terrifiante du logion 70 de l’évangile selon Thomas : « Jésus a dit : ‘Quand vous engendrerez cela en vous, ceci que vous avez-vous sauvera ; s’il vous arrive de n’avoir pas cela en vous, ceci que vous n’avez pas en vous vous tuera.’ »
Pour mon cas personnel (mais pour d’autres bien sûr ce sera différent), j’ai toujours pensé que ce « don » à cultiver était l’écriture. Chaque jour passé loin d’elle je peux me redire l’interrogation du Dies irae, où le pécheur évoque sa comparution devant son Juge :
« Quid sum miser tunc dicturus
Quem patronum rogaturus
Cum vix justus sit securus ? »
(« Que dirai-je, malheureux que je suis, qui invoquerai-je comme avocat, quand le juste lui-même sera à peine en sécurité ? »)
– Mais on peut très bien, et toute sa vie durant, redouter un jugement tout en pensant qu’il n’existe pas. En effet, et là encore je n’engage que moi, je pense qu’il n’y a pas de Contrôleur, et qu’on ne sera jamais contrôlé.[1]
[1] La matière de cette chronique fait l’objet d’une des fictions de mon livre en deux formats Fictions I - Libres lectures bibliques ::
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