À l’occasion de l’actuel conflit du Proche Orient, beaucoup de pays amis d’Israël lui ont fait part de leur soutien « inconditionnel ». Cela partait certes d’un bon sentiment, vu l’émotion immédiate causée par les massacres du Hamas. Mais une fois celle-ci retombée, la formule a de quoi laisser perplexe.
Elle laisse à celui qui en bénéficie une totale carte blanche, lui permettant de répondre à l’agression comme il le veut. Ce dont ne s’est pas privé le pouvoir israélien, avec son intervention à Gaza, qui fait penser à la formule de Tacite à propos des exactions des Romains soi-disant pacificateurs : Ubi solitudinem faciunt, pacem appelant – Où ils font un désert, ils disent qu’ils font la paix.
On parle ici de loi du talion. Mais c’est se tromper sur l’expression. Car le talion (du latin talis, tel) est une notion déjà civilisatrice, destinée à modérer l’intensité de la vengeance. Il implique réciprocité, et donc proportionnalité, ce qui se résume dans la formule connue : « Œil pour œil, dent pour dent ». On met un frein à l’exercice de la violence. Ensuite tout au long du processus civilisateur ce sera à la justice de remplacer la vengeance elle-même.
Mais Israël se maintient actuellement dans le désir de vengeance, et dans les faits sa réaction est hors de toute proportion. Donc au-delà de toute raison, si on songe que raison (ratio) et proportion (proportio) ont la même racine latine. La ligne qu’il a choisie fait penser à ce que dit la femme autoritaire chez Juvénal : Hoc volo, sic jubeo, sit pro ratione voluntas ! – Je le veux, je l’ordonne, et que ma volonté tienne lieu de raison !
Cette attitude renvoie à celle du Dieu biblique, qui fait grâce à qui il fait grâce, et a pitié de qui il a pitié. Aucune explication ne s’en peut obtenir. Cette toute-puissance écrasante qui ne rend jamais de comptes peut détruire un humain sensible, comme il se voit dans la Lettre au Père de Kafka. Mais un homme, être de raison, peut-il rêver de se comporter comme Dieu ? Certains l’ont fait pourtant, jusqu’à prétendre en être son bras armé.
Il y a danger à prendre dans la vie des décisions « inconditionnelles ». Il faut toujours modérer celles qu’on est amené à prendre par un examen rationnel de la situation. Pour le fond, je comprends bien qu’ici elle est inextricable. Au moins les partisans d’Israël auraient-ils pu, en lui manifestant leur soutien, supprimer ce qualificatif.
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Sur la colère autosuffisante du Dieu biblique, voir :
On ne répond pas à son père - Le blog artistique de Michel Théron
Les dangers d'une conception toute-puissante de Dieu.
https://michel-theron.eu/2023/02/on-ne-repond-pas-a-son-pere.html
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