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près la condamnation du cardinal Barbarin pour non-dénonciation d’abus sexuel, les révélations de Frédéric Martel sur les mœurs au Vatican et le double langage en matière d’homosexualité, le reportage sur les viols commis contre des religieuses, certains se demandent s’il ne faudrait pas tout bonnement abandonner le christianisme.
À cet égard je viens de lire un intéressant point de vue de l’écrivain François Bouthors, qui n’est pas de cet avis. Pour lui le christianisme est l’âme de notre civilisation, et même si l’Église l’a trahi, il faut bien en préserver le message. Pour ce faire, des simples mesures disciplinaires ne suffiront pas : « Si l’on ne retrouve pas la consistance du message chrétien, cela ne sera qu’un emplâtre sur une jambe de bois. » (Ouest-france.fr, 18/03/2019)
En gros, il peut bien avoir raison. Mais si l’on y regarde dans ces détails où, dit-on, se cache le Diable, on peut formuler quelques réserves.
Il me semble en effet que parler du message chrétien en général est oublier qu’il est fort complexe, ce qui justifie d’ailleurs la pluralité des Églises qui s’en réclament. En fait il y a des christianismes : le majoritaire, celui qui se réclame de Paul, basé sur le sacrifice salvateur du Messie, mais aussi le gnostique, qui recherche la sagesse, l’unitarien ou le pré-nicéen, qui nie la divinité de Jésus, etc.
Quant à l’enseignement de Jésus lui-même, auquel bien sûr il faudrait revenir par-delà toutes les interprétations ultérieures, il ne nous est malheureusement connu que par ce qu’on nous en a rapporté. Et il est lui aussi fort divers, polymorphe, et parfois contradictoire. Y alternent des passages de compréhension miséricordieuse pour l’ici-bas, d’espoir pour le futur, et aussi de menace justifiant qu’à les lire on puisse vivre dans la crainte et le tremblement. Tout cela correspond à des strates rédactionnelles très différentes qui se sont ajoutées les unes aux autres, donnant au final l’image d’un millefeuilles. Si certains y voient une symphonie, d’autres voient plutôt une cacophonie. J'ai résumé naguère cette question dans une conférence : Le Christ polymorphe.
Jefferson avait bien vu ce côté disparate du texte évangélique, et y avait découpé et gardé les seuls passages qui lui semblaient cohérents et admissibles pour un esprit rationnel. Je crois que chacun devrait se faire sa petite Bible de Jefferson, et ne recevoir que ce qui lui parle intimement. Bref entre les messages offerts, choisir le sien.
Article paru dans Golias Hebdo, 28 mars 2019
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