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uoi de plus beau que ce mot ? Il panse les blessures, apaise les animosités, insuffle dans les âmes un salutaire élan vers l’avenir.
Et pourtant les modalités n’en sont pas simples. Ainsi le Synode de l’Église évangélique vaudoise, à qui le pape François avait demandé pardon en juin de l’année dernière pour les persécutions subies par les Vaudois de la part de l’Église catholique, lui a répondu dans une lettre ne pas pouvoir se « substituer à ceux qui ont payé de leur sang et avec d’autres souffrances leur témoignage à la foi évangélique » et « ne pouvoir pardonner à leur place » (Source : La-Croix.com, 25/08/2015)
Il me semble bien en effet qu’en toute logique le pardon doit être donné par la victime elle-même, et non par ses descendants. La demande de pardon rétrospectif de la part des successeurs ou « ayants-droit » du criminel est par bien des côtés une solution de facilité, et peut faire oublier l’horreur du crime lui-même.
Cela me fait penser, dans un ordre d’idées comparable, à ces « lois rétroactives », que notre droit récuse, en vertu de l’article 8 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 : « Nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Le gouvernement de Vichy en a fait un usage barbare à l’encontre de résistants français, comme il se voit dans le film de Costa-Gavras, Section spéciale (1975).
Bref, pour que le pardon ait un sens, il faut que les victimes soient encore présentes pour l’accorder. Sinon, c’est une trahison à leur égard.
Par exemple, les protestants d’aujourd’hui pourraient-ils pardonner à l’Église catholique, à supposer qu’elle le leur demande, le massacre de la Saint-Barthélemy ? Je ne le pense pas.
Ou encore, les descendants des victimes de la Shoah peuvent-ils pardonner aux bourreaux de celles-ci ? Ce serait se substituer indûment à elles, oublier le tragique gaspillage que fut leur mort, et pourquoi pas y voir une quelconque utilité, comme il se voit chez nous dans le dogme à mon avis barbare de la Réversibilité, selon lequel les mérites du martyr sacrifié profitent à l’ensemble de la communauté, en se reportant sur elle.
Dérivée du dogme de la Communion des Saints, cette croyance absolutoire du mal a été théorisée par Joseph de Maistre. Elle a été ainsi formulée : « L’innocent en souffrant ne satisfait pas seulement pour lui, mais pour le coupable, par voie de réversibilité ». Elle a influencé beaucoup d’esprits, dont celui de Baudelaire, dans le poème des Fleurs du Mal qui porte ce titre. Mais la beauté réelle du poème n’excuse pas la barbarie du thème qui l’a inspiré. Et dans cette très paradoxale vision le pardon n’est plus nécessaire, puisque le mal a une utilité, en bénéficiant à celui qui le commet.
Article paru dans Golias Hebdo, 28 avril 2016
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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