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a Lettre d’origine évangélique que je reçois régulièrement est toujours fidèle à elle-même !
Elle présente cette semaine une singulière orientation. D’une part elle défend toujours une réactualisation des chants liturgiques, qui doivent être dans le vent, sans aucun doute pour ratisser large, et attirer les jeunes en église. Les chants de louange, par exemple, doivent être « relookés » selon les standards musicaux modernes (rock, pop, etc.).
Mais à côté de cela elle célèbre le sacrifice des soldats alliés lors du Débarquement de juin 1944 sur les plages normandes, et à la fin voici ce qu’on lit : « 2000 ans plus tôt, un autre sacrifice a coûté un prix immense. Pour que nous puissions marcher, en paix, dans l’éternité, réconcilié avec notre Créateur. »
On croit rêver. On pensait reléguée aux vieilles lunes de la théologie cette vision de la Croix rédemptrice et salvatrice, où le supplice du Crucifié nous « réconcilie » avec Dieu. De ce dernier on conviendra qu’elle n’offre pas une image flatteuse. Si réconciliation il doit y avoir avec lui, c’est qu’il est en colère : cette vision d’un dieu courroucé, qu’on a lue dans l’Ancien Testament, a été à la source d’un antijudaïsme chrétien millénaire. En outre, si ce Dieu a été payé par le sacrifice de son Fils, il n’a pas pardonné. Car pardonner implique qu’on efface la dette, non qu’on la recouvre. Socin et les Sociniens ont bien insisté là-dessus. Pourquoi alors ne pas vouloir, comme eux, un christianisme sans sacrifice ?
On peut voir au contraire le supplice du Christ non pas comme un rachat ou une expiation, mais comme un échec même de Dieu. Les Patripassiens ont été jusqu’à dire que le Père lui-même avait souffert sur la croix, et s’était ainsi uni à son Fils. Assurément cela est moins choquant que l’image d’un Dieu se repaissant des souffrances humaines, que Baudelaire par exemple a dénoncée dans son « Reniement de saint Pierre ».
Au fond, les évangéliques veulent moderniser la forme des chants et des musiques (où de toute façon, pris par le rythme et l’entrainement, l’on risque moins de réfléchir), et gardent pour le fond les options de la théologie la plus archaïque.
Certes ils pourraient répondre que cette théologie est celle de certains textes bibliques, ce qui est vrai. Mais le littéralisme n’est pas bon conseiller, et on peut préférer ici la recherche et la réévaluation.
C’est ce que font par exemple les protestants libéraux de mes amis, qui à l’inverse des évangéliques, gardent parfois par nostalgie la forme des anciennes musiques et liturgies, mais changent fort à propos le fond théologique des questions.
Article paru dans Golias Hebdo, 8 octobre 2020
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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