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31 décembre 2023 7 31 /12 /décembre /2023 02:00

J’

ai assisté dernièrement à un concert de Noël, où l’on a chanté le fameux Minuit Chrétiens !, qui est comme on l’a dit la « Marseillaise du croyant ».

 

J’ai donc entendu l’antienne célèbre : « Noël, Noël, voici le Rédempteur ! » Mais la beauté indéniable du chant ne m’a pas empêché de réfléchir, une fois quittée l’église, sur cette idée de rédemption.

 

Elle est centrale dans la construction chrétienne. On le voit même par le refus récent du pape actuel de proclamer un cinquième dogme marial considérant Marie comme la « co-rédemptrice » du Christ (Source : lacroix.com, 13/12/2019). On peut signaler aussi l’existence en catholicisme de la congrégation des Rédemptoristes, etc.

 

L’idée de rédemption est très engageante et gratifiante pour le fidèle, qui n’en saisit pas forcément aujourd’hui l’enjeu : le rachat du péché originel.

 

Dans l’hymne Exultet, chantée le samedi saint, on apprend même que la faute du premier homme a été heureuse, puisqu’elle nous a valu un tel et si grand Rédempteur (Felix culpa, quae talem ac tantum meruit habere Redemptorem). Nous aimons toujours entendre qu’il y a dans chaque faute commise une possibilité de rachat, une occasion de résilience, en somme une « positivité de la négativité ».

 

Mais le texte néotestamentaire peut nous décevoir, car la rédemption dont on s’enchante est en fait une rançon (lutron) : « Le Fils de l’homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour beaucoup. » (Matthieu 20/28 ; Marc 10/45 ; 1 Timothée 2/6) Bien sûr, si rédemption nous fait plaisir, rançon nous choque. Et pourtant c’est le même mot en français : le premier a sa source dans le second (via un raançon médiéval). « Rédemption » a été ensuite calqué mécaniquement sur le latin redemp­tio (dont le sens est bien : rachat).

 

Cette rançon est versée à Dieu. L’idée qui s’en dégage est celle d’un créancier sévère, qui n’est satisfait que si le débiteur s’acquitte du prix de sa dette. Socin disait bien que si Dieu a été payé par le sacrifice du Fils, il n’a pas pardonné. Pardonner signifie qu’on efface la dette, et non pas qu’on la recouvre. Outre donc l’idée du péché ori­ginel, qui fait bon marché de la responsabilité individuelle, l’on peut refuser cette théologie épicière et barbare d’un Dieu inflexible, dont il faut même, comme dit le Minuit Chrétiens !« apaiser le courroux ». Elle est autorisée pourtant par les textes susdits.

 

Malgré tout nous continuerons désormais de rêver sur la Rédemption floue, en oubliant la Rançon précise dont elle provient, et le contexte qu’elle suppose. Sans doute y a-t-il des mots qui, comme le disait Valéry, ont plus de valeur que de sens.

 

Article paru dans Golias Hebdo, 9 janvier 2020

 

D.R.

 

***

 

Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.

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commentaires

H
Merci pour ce partage. Je me sens très proche de votre analyse. Je me souviens d’avoir été interrogé il y a près de 40 ans (ce n’était donc pas hier !) par un collègue et ami psychiatre de confession juive sur la notion de rédemption. Il savait que je m’intéressais à ces questions théologiques, d’où sa question. Mais je me souviens aussi que je m’étais retrouvé en fait devant deux questions : 1- pourquoi me demande-t-il cela ? Et surtout : mais bon sang, qu’est-ce donc que la rédemption ? <br /> <br /> Et finalement, vous l’avez bien souligné, on se casse le nez ensuite sur le "péché originel", qu’il est difficile d’ailleurs d’identifier clairement (si encore il s’agissait du premier crime!). J’ai essayé un jour de lire comme si c’était la première fois le texte de Genèse 3, et j’ai conclus que ce texte est si difficile qu’on a envie de refermer la Bible. Mais on saisit vite qu’on a complètement tort. La Bible ne nous dit pas, en effet, que tout s’est joué là, puisque dès le plus vieux texte de la Bible (Genèse 2), Dieu conseille énergiquement de ne pas goûter de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, car la mort sera au bout. Et il est évident que la Bible toute entière ne servirait à rien si l’homme et la femme n’y avaient pas goûté ! <br /> <br /> Sans jeu de mot volontaire, c’est donc « le serpent qui se mange la queue ». Personnellement, je pense quand même que le mythe biblique a un sens profond, car la différence entre le bien et le mal est en effet la chose la plus colossalement difficile à examiner. Ainsi, je sais que le philosophe Paul Ricoeur avait pondu un tout petit ouvrage de 40 pages sur le problème du mal, alors qu’un pasteur protestant nommé Wilfred Monod a pondu, lui, en 1934, un énorme ouvrage (comportant près de 3000 pages) sur « Le problème du bien », preuve, s’il en, est, que la question n’est pas simple mais mérite amplement d’être creusée !!!<br /> <br /> Voici un petit extrait du livre  de Wilfred Monod : <br /> <br /> « Nous passons, voilà notre gloire. Nous allumons chaque soir un feu de bivouac. Ainsi toujours nous avançons, nous aspirons, nous protestons, nous pensons, nous rêvons, nous prions, dotés d’un pouvoir incompréhensible : celui de poser ici-bas des commencements nouveaux (…) nous sommes doués même de la capacité de mourir (…). Le problème du bien m’émeut davantage que le problème du mal, il est plus déconcertant, plus inopiné, plus saisissant, plus prodigieux que le mal (…) autrement le monde aurait depuis longtemps disparu » (p.1138-1139).
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W
Merci de ce commentaire, avec lequel je suis d'accord. En particulier sur le problème que pose le bien, tout aussi important que celui que pose le mal. Dans les deux cas on a la même impression d'incompréhensible, et il est absurde de se focaliser sur le seul mal. - A bientôt pour de nouveaux échanges. En proximité. M.T.
A
L'essentiel est que "rédemption" ait effacé "rançon". La vérité d'un mot est dans son évolution, non dans son figement étymologique.
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W
Merci de ce commentaire, avec lequel je suis à peu près d'accord (peut-être serais-je plus prudent sur le "péché originel", qui peut avoir un contenu anthropologique intéressant). Mais j'apprécie beaucoup la référence à l'"Enfant prodigue", qui est parmi ce que le christianisme a .apporté de meilleur. Cordialement et bonne année à vous. M.T.
A
C'est effectivement le sens du mot qui compte...et l'auteur du "Minuit, chrétiens" ne s'y est pas trompé: il faut effacer le COURROUX du Père. Cette idée a pollué le christianisme depuis le grand Saint Augustin...Qu'on est loin, très loin du message lumineux envoyé par Jésus dans la parabole de "L'enfant retrouvé" où le Père, Dieu donc, n'attend pas le moindre mot de repentir de l'abominable fils prodigue et lui ouvre grand ses bras tout en commandant le FESTIN des retrouvailles!!! Pour ce qui concerne le scandaleux "péché originel", il faudrait que le plus grand nombre prenne quelques heures pour lire la "Libre réponse à un scandale " du Père Gustave Martelet.

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  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).
  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).

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