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ai regardé sur Arte, dans la soirée du 10 septembre dernier, une intéressante émission consacrée à l’épreuve infligée par Dieu à Abraham, lorsqu’il lui demande de lui sacrifier son fils Isaac. Le titre en était : Dieu est-il cruel ? Cette émission m’a rendu bien perplexe.
Je sais bien que toutes les cultures ont pratiqué le sacrifice, y compris humain, pour apaiser la colère d’un Dieu qu’elles supposaient courroucé. Entre autres, il y a l’exemple d’Iphigénie sacrifiée par son père Agamemnon, pour que la flotte grecque puisse bénéficier de vents favorables et cingler vers Troie.
Dans une version de cette légende, rapportée par Lucrèce, elle est effectivement sacrifiée, et le poète latin conclut : « Tant la religion a pu susciter de crimes ! ». – Il est vrai que dans une autre version, rapportée par Euripide, puis par Ovide dans ses Métamorphoses, au dernier moment à Iphigénie est substituée une biche – exactement comme dans l’épisode de la Genèse un bélier est finalement substitué à Isaac. Les commentateurs s’accordent à dire que l’épisode biblique signifie la fin des sacrifices humains, et que Dieu les refuse désormais.
Néanmoins, cette histoire comporte encore beaucoup de zones d’ombre. Par exemple, comment expliquer le singulier bien singulier de la fin de l’épisode, que l’émission n’a pas relevé : « Abraham revint vers ses serviteurs » (Genèse, 22/19) ? Où est passé Isaac ? On en frémit, et assurément le texte porte ici trace d’une version selon laquelle le sacrifice aurait bien eu lieu.
Les hommes ont toujours eu la tentation de satisfaire à des ordres barbares, car pour eux le conditionnement subi ainsi que l’obéissance aveugle et moutonnière sont préférables à la réflexion. L’actualité le montre, hélas !, bien suffisamment.
Quant à l’image de Dieu qui se dégage de tout cela, c’est celle d’un Dieu sadique et pervers. Elle se trouve jusque dans l’Offertoire de la messe catholique, où le prêtre opérant le sacrifice – calqué exactement sur celui d’Isaac – dit : « Cette offrande, nous te demandons, Seigneur, de l’agréer en étant par elle apaisé (placatus) ». Si Dieu doit être apaisé, c’est qu’il est en colère.
Une traduction bien intentionnée remplace parfois « pour t’apaiser » par « pour te plaire ». Mais philologiquement elle est fausse, car placare (apaiser) n’est pas placere (plaire).
En ce qui concerne Abraham, peut-être dupe d’une illusion a-t-il simplement projeté sur Dieu une image qu’il s’en faisait, nourrie de sa propre peur. Peut-être aussi a-t-il eu une hallucination auditive... [v. Psychose]
Mais quand les hommes se délivreront-ils de ce fantôme sadique qui les effraie, et qui au reste est instrumentalisé par toutes les cléricatures, elles-mêmes poussées par la soif du pouvoir ?
[v. Prière]
Article paru dans Golias Hebdo, 7 octobre 2015
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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