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ai revu l’émission rediffusée sur Arte il y a quelques jours, et consacrée au saint Suaire de Turin.
Les avis des experts diffèrent beaucoup quant à l’authenticité de l’objet. Certains, comme argument essentiel en sa faveur, ont vu sur le suaire des lettres hébraïques remontant à l’époque de Jésus. À quoi d’autres experts ont répondu en expliquant la chose par le phénomène d’illusion d’optique appelée paréidolie, ou fausse identification.
Ce mot nouveau désigne quelque chose de connu depuis toujours. Il indique que le cerveau transforme les informations fournies par la rétine en objets déjà connus. Voir est toujours se souvenir, et on ne voit que ce qu’on s’attend à voir.
Ce phénomène, essentiel pour comprendre la psychologie de la perception, est inévitable, et même nécessaire, car si cette propriété disparaît, par atteinte du lobe temporal, l’homme est affecté d’agnosie, pathologie de la reconnaissance des objets.
Par exemple aussi, pour l’être normal il ne peut y avoir d’art totalement abstrait, car il perçoit toujours figurativement : une forme nouvelle le fait inévitablement penser à une ancienne, un nuage par exemple figure et rappelle une maison, un animal, etc. Comme disait Valéry : « Ce qui ne ressemble à rien n’existe pas. »
Pour notre suaire, les tenants de la cryptographie ont projeté sur lui ce qu’ils voulaient y voir. Des taches et maculations ont été mentalement anticipées et transformées par eux en signes pleins de sens, et ainsi ils ont été mis sur la voie du surnaturel, celle d’une trace attestant une réalité effective. C’est humain. Comme dit La Fontaine :
« L’homme tourne en réalités
Autant qu’il veut ses propres songes :
Il est de glace aux vérités,
Il est de feu pour les mensonges. »
La conclusion de l’émission a été à mon avis la plus intéressante : ce n’est qu’à partir du milieu du treizième siècle que les représentations artistiques ont choisi de figurer la passion et les souffrances du Christ, et ce de façon de plus en plus réaliste. Si l’on le situe dans ce contexte, notre suaire serait une image destinée à alimenter une nouvelle dévotion, toute empreinte de dolorisme et de pathétisation. C’est là, à mon avis, la seule explication plausible et naturelle à l’existence de cet objet : il a servi de support à la méditation et au culte.
[v. Miracle]
Article paru dans Golias Hebdo, 16 juillet 2015
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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