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ur ses rapports avec le sacré, on connaît les thèses de René Girard : tout groupe social reporte la cause de ses maux sur un bouc émissaire, qui sert de victime expiatoire, chargée des fautes de la collectivité et mise à mort pour cette raison. Là serait le schéma religieux de base, qui évidemment fait perdurer la violence.
Mais le philosophe anthropologue prétend que le christianisme y échappe, dans la figure de la Croix : pour la première fois, l’humanité verrait en plein jour la barbarie de ce processus, et par ce spectacle inadmissible Dieu lui ferait honte de l’admettre encore. Il n’y aurait alors aucune raison de l’incriminer pour la violence commise en son nom (voir : « Charlie Hebdo : Dieu est-il coupable ? », dans : LeFigaro.fr, 4 janvier 2016)
Tout cela est bien beau. Malheureusement ce n’est pas conforme à quantité de textes que les chrétiens encore lisent dans leur Bible. On y voit que si Dieu est amour, ce dont se gargarisent beaucoup de croyants en oubliant la suite de la lettre, c’est qu’il a donné son Fils en victime expiatoire pour racheter les péchés des hommes (1 Jean 4/10).
On oublie aussi qu’il fallut que ce sacrifice, même consenti par la victime, fût un parfum d’agréable odeur (Éphésiens, 5/2).
Quant à la liturgie de l’Offertoire, à la Messe catholique, on y entend qu’il s’agit par la présentation d’une victime d’« apaiser » un Dieu qui donc ne peut être que courroucé. On ne voit pas là la moindre récusation de la violence, pas plus que dans le thème de l’Agneau de Dieu, qui suit parfaitement le schéma du bouc émissaire. [v. Sadisme]
À la rigueur, Girard aurait raison si pour faire honte aux hommes le Père lui-même avait été mis en croix, comme l’ont prétendu les Patripassiens, ou si le Christ lui-même avait souffert en tant que Dieu, comme l’ont soutenu les Théopaschites.
Cette formulation selon laquelle Dieu a été crucifié pour nous, figure certes dans le Trisagion (le Sanctus) de l’Église orthodoxe. Mais elle a été critiquée pour négation de la Trinité, où les personnes doivent rester séparées.
De toute façon, Patripassiens et Antitrinitaires (parmi ces derniers sont les Unitariens d’aujourd’hui) sont hérétiques aux yeux de la Grande Église !
Cette question est un cas d’école. On y voit l’éternelle opposition entre la recherche théologique, qui se veut ouverte et humaniste, novatrice, et la vérité philologique concernant les textes, qui, elle, est inflexible.
Article paru dans Golias Hebdo, 10 mars 2016
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