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n se demande où va s’arrêter le nihilisme où s’engloutit chaque jour davantage le monde de l’art contemporain.
Lors d’une vente aux enchères chez Sotheby’s à Londres, une toile de l’artiste Banksy, star du street art, La Fille au ballon rouge, qui venait d’être adjugée au prix record d’1,2 million d’euros, a été déchiquetée en lamelles par une broyeuse dissimulée dans son cadre, télécommandée par l’artiste lui-même.
Stupéfait, le public a mitraillé le dispositif, pour immortaliser le moment avant la destruction complète. Pour Nicolas Laugero Lasserre, spécialiste du street-art, Banksy « va devenir par ce coup de génie l’artiste le plus coté au monde. » (Source : Francetvinfo.fr, 06/10/2018)
Sans doute le geste iconoclaste de l’artiste avait-il pour but de montrer la totale déconnection du marché de l’art où les prix atteignent des valeurs stratosphériques, avec la réalité des objets eux-mêmes proposés à la vente, soumis à la pure loi de la marchandisation et de la spéculation. Le même tableau vendu avec un nom connu verra son prix s’envoler, et au contraire s’il est proposé par un inconnu il n’intéressera personne. On n’achète pas une œuvre, mais du vent médiatisé.
Le paradoxe est que cette entreprise faite pour dessiller les yeux des acheteurs est récupérée par le système lui-même, et qu’elle donne une plus-value à celui qui en est l’auteur. Plus l’artiste déconstruit le système, plus sa cote monte.
L’œuvre elle-même disparaît en tant que telle, et ce qui compte est le buzz qui se fait autour d’elle : non sa valeur esthétique ou d’« usage », mais sa valeur de représentation, toute arbitraire (sa cote financière, décorrélée de tout substrat réel). Ainsi, après avoir fait l’acquisition d’une sérigraphie du même Banksy, la start up Injectice Protocol a procédé à sa destruction en mars 2021. La combustion, filmée, horodatée, valorisée, a ensuite été vendue sous la forme d’un fichier numérique, quatre fois plus cher que l’original. (Source : Télérama, 0906/2021, p.30)
Les galeries suivent le mouvement, et il est très facile, comme on dit, de les épater...
... Comment expliquer cet aveuglement ? Je pense aux nobles qui assistaient aux pièces de Beaumarchais, et qui applaudissaient aux critiques mêmes dont ils y faisaient l’objet. Ne les comprenaient-ils pas ? Ou bien succombaient-ils à un vertige masochiste ? Ou les deux ?
Quoi qu’il en soit, ce système fou où toute notion de réalité est perdue subsiste, comme le disait Baudrillard de la société de consommation, « avec une fixité obscène ». Quelques tout petits pourcents de la population possèdent la majorité des richesses de la planète, dont ils n’ont que faire que de s’en amuser. Nous vivons une apocalypse joyeuse, et l’orchestre du Titanic continue de jouer en plein naufrage...
[v. Art ]
Article paru dans Golias Hebdo, 18 octobre 2018
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