J’emprunte ce néologisme à Raphaël Glucksmann. Au lendemain de la dissolution de notre Assemblée, il a fait de ce terme une de ses lignes rouges, disant qu’il fallait s’engager à stopper la « brutalisation de la vie politique ».
Je suis tout à fait d’accord avec lui. Certes la violence verbale a toujours existé dans le milieu politique. Mais elle se manifestait toujours à l’intérieur des partis eux-mêmes, en quelque sorte en « vase clos ». La différence est que maintenant son flot se déverse sans frein dans l’espace public.
Ainsi on a vu au soir de dimanche 9 juin un opposant au président le traiter devant les caméras de « taré », sans recevoir pour cette expression le moindre blâme de quiconque. Et c’est ce même député qui a déclaré ensuite qu’il se sent « capable » d’être premier ministre ! Les insultes verbales sont des coups portés à l’adversaire : coup de langue, coup de lance. L’exemple a été donné les deux dernières années par le parti d’extrême gauche à l’Assemblée, qui a constamment pratiqué l’agit-prop, ou la propagande de masse. Une raison de ce déluge d’invectives est sans doute l’influence des réseaux sociaux, où chacun se lâche sans vergogne, courageusement protégé par l’anonymat.
Les nations, disait Giraudoux, meurent d’infimes impolitesses. Ici elles ne sont certes pas « infimes », mais la prédiction est pertinente. Si on commence par tolérer des insultes publiques, où s’arrêtera-t-on ? Il suffit d’un seul accroc au tissu républicain pour tout détricoter à la fin : « Une maille rompue emporte tout l’ouvrage », comme dit La Fontaine dans Le Lion et le Rat. Sur ce chemin, très vite la démocratie dégénère en ochlocratie, ou gouvernement de la populace, où tout respect disparaît.
La haine se répand partout, ignorant la limite. Si fondée en effet qu’elle puisse être au départ, elle se disqualifie à l’arrivée par défaut d’une borne nécessaire. Il y a une certaine sorte de haine qui nous met au-dessous de ce que nous haïssons.
Et maintenant à la brutalité s’ajoute le cynisme. Ainsi voit-on un ancien ministre condamné pour fraude fiscale projeter de se présenter à la future élection : manifestement il n’y voit pas d’abjection. Mais où est l’exemplarité ?
Les ennemis de la démocratie, les autocrates russe et chinois par exemple, doivent se frotter les mains. Point n’est besoin pour eux de pousser eux-mêmes à l’abîme ceux qui s’y plongent tout seuls.
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