La démocratie est, étymologiquement, le gouvernement du peuple, qui est sa base essentielle, et apparemment son unique recours. Pourtant à y réfléchir la question n’est pas simple.
Il est des cas en effet où le régime même démocratique a besoin d’être complété et en quelque sorte coiffé par quelque instance supérieure, incarnant des valeurs plus larges que celles seules qu’il défend. On voit dans Antigone de Sophocle le conflit entre les lois particulières de l’État et celles, universelles, incarnées par l’héroïne éponyme. On peut imaginer pour ces dernières un Tribunal qui ne serait pas seulement intérieur à l’âme de la résistante, mais encore institutionnalisé, auquel l’État lui-même devrait rendre des comptes. Ce serait une garantie de respect et d’ouverture sur des valeurs plus générales, qui complèterait celles, plus étroites, d’un état qui peut en être oublieux, car voué à s’occuper de tâches plus quotidiennes.
Eh bien ce Tribunal existe, sous diverses formes et divers noms. Chez nous par exemple il s’appelle Conseil constitutionnel, ou Conseil d’État, à l’échelle européenne la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), et à l’échelle mondiale la Cour pénale internationale (CPI). Les démocraties ont besoin de pareilles instances de contrôle, auxquelles souvent d’ailleurs, de façon significative, les pays autocratiques refusent de se soumettre.
Mais ce refus peut être aussi malheureusement le cas des populismes, pour lesquels le recours au peuple suffit en toute occasion. Pour dire le droit, on veut court-circuiter aussi bien les instances nationales que supranationales, leur pondération et leur prudence professionnelles si utiles pourtant pour réfréner les emballements. Le peuple est censé avoir toujours raison, même s’il se comporte en simple foule. Sa voix est déifiée : Vox populi, vox dei. On peut faire appel à lui comme seul décisionnaire, par le moyen du référendum. Or la foule préférera toujours Barrabas à Jésus. C’est elle qui réclamera toujours, si on lui demande son avis, le rétablissement de la peine de mort, l’expulsion systématique des étrangers, etc. L’idée rousseauiste de « volonté générale », qui procède du même présupposé (le peuple souverain) est totalitaire d’inspiration.
La vraie démocratie suppose un contrôle toujours possible des décisions prises par une instance plus informée et plus sage. Tant il est dangereux de lâcher la bride aux irréfléchis, et de supprimer les surveillants avisés.
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