La chapelle St-Pierre, à Lucerne en Suisse, accueillera prochainement une statue de Jésus animée par une intelligence artificielle (IA). Ses concepteurs veulent voir comment les visiteurs, mis dans la situation de pénitents au confessionnal, s’adresseront à elle. Mais ils préviennent qu’il ne s’agit pas d’une situation réelle de confession. (Source : cath.ch, 14/08/2024)
Cette réserve est évidemment indispensable, encore que je ne vois pas comment les « cobayes » pourront toujours faire la différence, certains risquant de ne pas la faire du tout. D’autre part, comme il s’agit d’observer leurs réactions, le risque est grand pour eux de voir leur intimité dévoilée à des tiers : les promoteurs de l’expérience.
Cela étant, la démarche me semble intéressante, car ses résultats peuvent montrer la totale incompatibilité entre l’IA et le monde humain. Une machine peut avoir une mémoire de données incomparable, inaccessible à notre cerveau. Mais la quantité d’informations ne suffit pas. Il faut leur donner un sens, et c’est ce dont elle est incapable.
On nous dit que l’avatar de Jésus dans l’expérience trouvera, sur demande des visiteurs, des passages bibliques correspondant à leurs préoccupations. C’est tout à fait possible formellement. Mais la machine, qui ne voit que des suites de lettres, est étrangère à leur signification. Cette dernière suppose la mise en contexte de ces éléments : comme leur contexte est chaque fois différent, leur sens est chaque fois différent. Seul l’esprit humain est à même de faire cette insertion signifiante, cette mise au point mentale, plusieurs accommodations étant même parfois possibles pour le même élément.
Contre la lettre des choses, il faut toujours réhabiliter l’esprit. La lettre tue, l’esprit vivifie. À la limite, on n’a plus besoin même d’interroger la lettre, si l’essentiel se joue ailleurs. L’Évangile, dans la version du Codex de Bèze, contient un logion dynamiteur : « Voyant un homme travaillant le jour du sabbat, il lui dit : ‘Si tu sais ce que tu fais, tu es heureux. Si tu ne le sais pas, tu es maudit et transgresseur de la loi.’ » (Luc 6/3) Ce passage empêche toute formalisation a priori de la conduite morale, et exclut qu’on puisse trouver dans les données de l’IA la façon dont on doit se comporter pratiquement.
Si l’IA triomphe, ce sera la fin du monde humain, comme le pape lui-même vient de le reconnaître. On aura des perroquets répéteurs de leçons toutes faites, qu’il sera facile de diriger pour les concepteurs du cyber-monde.
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