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ntendu à France Inter, le 27 octobre dernier, l’interview d’une conseillère en image, esthéticienne de formation, chargée par Pôle emploi, donc payée sur deniers publics, de coacher les demandeurs d’emploi en organisant à leur intention des stages obligatoires pour leur permettre d’améliorer leur apparence.
J’ai trouvé son propos très étrange. Tout se joue, a-t-elle dit, dans les quarante premières secondes d’une rencontre : 90% de l’impression se fait sur l’image, et 10% seulement sur le langage. Si donc on soigne sa tenue, on se plaît à soi-même, et si on a une bonne image de soi, les autres nous la renvoient automatiquement, par une sorte de reflet positif. Dès lors on devient plus performant.
L’image que nous donnons est, selon son expression, une « carte de visite ». Pour cela on doit choisir les couleurs du vêtement qui vont avec le teint de la peau, éviter toute faute de goût, etc. On ne va pas à un entretien d’embauche en jeans et baskets, surtout usés. La conseillère n’a pas été jusqu’à poser la question du prix de ces vêtements qu’elle prônait, et de savoir si les candidats pouvaient les acheter.
Depuis, ce type de situation a fait l’objet d’une séquence du beau film de Stéphane Brizé : La Loi du marché (2015).
Les présupposés de cette position sont : 1/ Finalement, dans tout ce qu’on entreprend, on n’a que ce qu’on mérite, et si on échoue, on n’a qu’à s’en prendre à soi-même. Et 2/ Quand on veut, on peut : pour connaître le succès il suffit de le désirer.
Le premier point est un avatar de la vieille notion théologique de la rétribution, où l’échec d’une entreprise montre l’hostilité de Dieu, et prouve notre manque de mérite. Inversement, la réussite vaut justification divine. C’est l’idéologie du capitalisme états-unien (théologie dite « de la prospérité »).
Le second point, est un avatar de la méthode Coué concernant l’autosuggestion : elle est de fâcheuse mémoire, car elle culpabilise toujours de façon injustifiable ceux qui ne réussissent pas. Tu es pauvre, sale, avachi, pourquoi donc alors ne redresses-tu pas la tête ? Version nouvelle du fameux : « Salauds de pauvres ! », lancé par Gabin dans La Traversée de Paris, d’Autant-Lara.
Au fond, de tout cela je tire deux conclusions : si effectivement dans notre société l’image a une telle importance, et le discours si peu, c’est évidemment très grave, car de ce monde du look and feel sur lequel on se contente de surfer on ne peut tirer aucune substance.
Mais plus profondément, on se donne ici bonne conscience à vil prix : suffit-il de « relooker » les chômeurs pour leur permettre de trouver un travail ? Il y a là une totale disproportion entre ces discours lénifiants et les réalités économiques. Que pèse un costume ou une posture face aux exigences réelles d’un employeur ? Ce coaching de la posture est un parfait modèle d’imposture.
Article paru dans Golias Hebdo, 29 décembre 2011
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