Avant le début du conclave, sur le site américain Polymarket, plus de 17 millions de dollars ont été pariés en ligne sur l’identité du nouveau pape. De la même façon, un jeu italien en ligne, calqué sur un jeu de football très populaire, a proposé aux internautes de constituer une équipe virtuelle de onze cardinaux susceptibles succéder à François. Les joueurs devaient composer leur sélection de « papabili » comme un coach aligne ses meilleurs éléments de façon à remporter le match sur l’écran. (Source : international.la-croix.com, 06/05/2025)
Nous voici donc (une fois encore), à l’ère des paris et des jeux, et nous assistons au déferlement mondial du Divertissement, dans la guerre qu’il fait constamment au Sérieux. On peut certes en sourire. Mais que le phénomène soit de tout temps ne doit pas pour autant, il me semble, l’excuser et l’absoudre. Car que reste-t-il, dans l’esprit des parieurs et joueurs, de l’élection pontificale en elle-même ? Elle n’est qu’un prétexte, réduite à un jeu formel, purement aléatoire, les éléments étant dépourvus de signification. Le seul enjeu est le fun, élément de base et constitutif de la modernité.
Avant d’entrer en conclave, les cardinaux chantent le Veni Creator spiritus, implorent le Saint Esprit pour qu’il visite leur âme et leur fasse faire le meilleur choix possible. L’imploration à l’Esprit (l’épiclèse), est aussi un moment essentiel de la Messe, dans sa deuxième partie. Autant dire que l’enjeu est essentiel : spirituellement, et anthropologiquement, l’homme n’est pas seul décisionnaire. Il a besoin d’un secours essentiel, pour les chrétiens l’Esprit qui« donne vie », selon les termes du Credo de Nicée. C’est cette dimension d’insatisfaction et d’exigence qui fait que l’homme passe infiniment l’homme, selon le mot de Pascal, le grand contempteur du Divertissement.
Mais à cette dimension l’attitude moderne est complètement imperméable. Considérer un conclave au même titre qu’une compétition sportive, c’est le dépouiller de son véritable enjeu, en faire un spectacle kitsch, même si c’est seulement pour s’amuser un moment. C’est réduire l’humain à l’amnésie, à l’oubli de sa propre nature, à cette unidimensionnalité dont parlait Marcuse. Et ce, même pour un agnostique. Je suis assez d’accord de ce point de vue avec René Char : « Obéissez à vos porcs qui existent, je me soumets à mes dieux qui n’existent pas. »
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