J’ai revu sur la 5, dans la soirée du vendredi 24 octobre dernier, le beau film de Pierre Schoendoerffer Le Crabe-Tambour. Il s’agit de deux militaires arrivés à la cinquantaine, qui se penchent sur leur vie passée et en font le bilan, en évoquant un ancien compagnon d’armes qui dans leur esprit prend des dimensions mythiques, irréelles, tel Moby Dick ou la Baleine blanche. Ont-ils répondu à l’appel qu’ils ressentaient dans leur jeunesse, n’ont-il pas dans l’âge mûr renié l’idéal qui les portait autrefois ? La conclusion est amère. On est toujours le tombeau de ses propres rêves.
Mais surtout, la clé de voûte de ce film, expressément évoquée dans les dialogues, est la parabole évangélique des talents (Matthieu 25/14-30). On la connaît. Partant pour un voyage, le maître laisse en dépôt à trois de ses serviteurs une somme chiffrée en talents. De retour, il félicite les deux premiers qui les ont fait fructifier. Mais le dernier, qui a caché le talent reçu par peur de le perdre et le restitue donc à l’identique, est sévèrement condamné par le maître, qui lui ôte le talent qu’il a et le donne au premier. « Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a. Et le serviteur inutile, jetez-le dans les ténèbres du dehors, où il y aura des pleurs et des grincements de dents. » (29-30)
Cette parabole est, dit le film, « terrifiante ». Personnellement c’est ainsi que je l’ai toujours trouvée, et analysée dans mon ouvrage Fictions bibliques – La Bible revisitée (éd. BoD, 2023). L’homme m’y apparaît comme toujours comptable d’un dépôt qu’il a reçu en naissant, et qu’il se doit de faire fructifier, sous peine de mort spirituelle, comme le dit la version que l’évangile selon Thomas présente de la parabole : « Jésus a dit : ‘Quand vous engendrerez cela en vous, ceci que vous avez-vous sauvera ; s’il vous arrive de n’avoir pas cela en vous, ceci que vous n’avez pas en vous vous tuera.’ » (logion 70)
La vie ne suffit pas, si elle n’est pas irriguée par une exigence qui la dépasse, et par le sentiment, en regard, de son insatisfaction. Il faut toujours faire fructifier ce qu’on a reçu et être à même d’en rendre compte. Comme dans un train le voyageur doit pourvoir toujours présenter au Contrôleur son titre de transport.
Et ce, même si on pense qu’il n’y a pas de Contrôleur, et qu’on ne sera jamais contrôlé.
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Michel Théron