En complément à Mon enfance m'appelle, je reproduis ici un magnifique poème de Jean Tardieu, L'enfant resté au bord de la route, que j'ai cité et commenté au début du dernier chapitre de ma Source intérieure, « La Source et l'Origine » (pp.127-128) :
Voilà plus de trente ans que j’attends de vivre. Ai-je vécu ?
Sans doute quelqu’un a vécu. Mais ailleurs, quelqu’un d’autre est resté, un petit d’autrefois que je connais bien. Celui-là depuis toujours est demeuré, celui-là toujours à la même place demeure. Il attend, il m’attend et à travers la distance énorme il me fait des signes désespérés.
Oui c’est bien celui-là qui s’étonne là-bas, qui appelle, crie, gémit, car on ne l’a pas emmené. On l’a trahi : il croyait que tout allait venir à lui – et tout s’est éloigné de lui. Tandis que moi, moi qui suis parti sur la route, moi le quelqu’un qui va toujours là où je vais, c’est moi qui ai tout emporté, tout emporté, même l’image du solitaire enfant resté assis désespéré sur une borne de la route.
En effet, j’ai beaucoup beaucoup marché et parce qu’en marchant j’ai tout arraché des bords du chemin, parce que j’avançais sans cesse, ah ! comme je me suis cru riche ! Pourtant je ne possède rien qui vaille : les fils dansants du télégraphe, l’écho de mes pas, l’odeur des cuisines d’auberge, l’aboiement des chiens la nuit derrière les grandes portes fermées.
Comme je voudrais retourner vers l’enfant ! Il savait tout d’avance – et c’est bien pour cela qu’il pleurait.
(Jean Tardieu, La part de l’ombre, « Poésie » / Gallimard, 1972, p.190-191, « L’enfant resté au bord de la route »)
L'épigraphe de mon ouvrage est une citation du psychiatre et psychanalyste René Diatkine, qui résume le projet du livre tout entier :
Celui qui va mal reste fasciné par l'horizon infini de ses rêveries d'enfant. Il devient statue, sans plus savoir les raisons de son immobilité. C'est à nous de les retrouver avec lui.
→ Voir aussi : Enfance mon amour
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