Sur un forum unitarien auquel je participe, une discussion s'est élevée autour de la traduction du début du Prologue de l'évangile de Jean. On traduit ordinairement : « Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. » Le dernier mot en grec est Theos, et dans la Vulgate, en latin donc, est Deus. Puisque celui qui incarne cette Parole est Jésus, cela semble donc conforter le dogme de la Trinité, apparu ensuite.
Mais certains participants qui refusent la divinité de Jésus (c'est le propre de l'unitarisme) proposent de traduire la fin par : « et la Parole était d'origine divine. » Même si divin en grec se dit theios, et en latin divus, on allègue le fait que le mot grec Theos ici n'a pas d'article.
Alors il faudrait comprendre que la Parole n'est qu'une modalité de l'action de Dieu dans le monde, et le rapprochement est facile entre elle et la Sagesse de Dieu telle que le livre des Proverbes nous la présente : « L’Éternel m’a créée la première de ses œuvres, avant ses œuvres les plus anciennes. J’ai été établie depuis l’éternité, dès le commencement, avant l’origine de la terre. Je fus enfantée quand il n’y avait point d’abîmes, point de sources chargées d’eaux. Avant que les montagnes soient affermies, avant que les collines existent, je fus enfantée. Il n’avait encore fait ni la terre, ni les campagnes, ni le premier atome de la poussière du monde. Lorsqu’il disposa les cieux, j’étais là ; lorsqu’il traça un cercle à la surface de l’abîme, lorsqu’il fixa les nuages en haut, et que les sources de l’abîme jaillirent avec force, lorsqu’il donna une limite à la mer, pour que les eaux n’en franchissent pas les bords, lorsqu’il posa les fondements de la terre, j’étais à l’œuvre auprès de lui, et je faisais tous les jours ses délices, jouant sans cesse en sa présence, jouant sur le globe de sa terre, et trouvant mon bonheur parmi les fils de l’homme. » (8/22-31)
Pour conforter l'idée de « Parole de Dieu » et non de « Parole-Dieu », on cite aussi Apocalypse 19/11-13 : « Puis je vis le ciel ouvert, et voici, parut un cheval blanc. Celui qui le montait s’appelle Fidèle et Véritable, et il juge et combat avec justice. Ses yeux étaient comme une flamme de feu ; sur sa tête étaient plusieurs diadèmes ; il avait un nom écrit, que personne ne connaît, si ce n’est lui-même ; et il était revêtu d’un vêtement teint de sang. Son nom est la Parole de Dieu. »
Nous voilà donc en plein dans ce qu'on a appelé le modalisme...
Je reproduis donc ici l'entrée Monarchiens et Modalistes de mon Petit lexique des hérésies chrétiennes, paru chez Albin Michel en 2005 :
Monarchiens et Modalistes
S’est dit de tous ceux qui dans les débuts du christianisme niaient la double nature de Jésus-Christ (pleinement homme et pleinement Dieu), les uns ne prenant en compte que l’unicité ou la monarchie divine (Monarchiens), les autres disant que J-C n’avait été qu’une modalité d’action de Dieu dans le monde (Modalistes). Tous ces mouvements sont résolument anti-trinitaires. À cette façon de penser se rattachent les Noétiens*, les Sabelliens*, les Praxéens*, et les Patripassiens*.
J'ai souligné ailleurs les problèmes moraux posés par la Trinité telle qu'elle est conçue chez nous : voir La Trinité barbare. Mais sur le fond de cette question je suis de plus en plus perplexe. Aucune de nos traductions habituelles ne comprend cette façon de voir la fin de Jean 1/1. Et il y a eu aussi des hérétiques, appelés Aloges, dont je parle aussi dans mon Petit lexique..., qui ont refusé ce prologue sur le Logos. Il se peut qu'il ait été écrit postérieurement à l'évangile lui-même, où le Fils est ordinairement subordonné au Père. La pub suivante qu'Albin Michel a fait paraître dans La Vie me semble juste, puisqu'elle et l'accent sur la « relativité des dogmes ». Comme dit mon cher Montaigne, en une phrase que j'ai mise en épigraphe à mon livre Les Deux Visages de Dieu : « Il n'y a que les fols certains et résolus. »
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