On raille l’idolâtrie à laquelle il paraît conduire, et aussi la naïveté qu’il y a à faire éventuellement s’opposer des dieux dans des luttes qui n’ont rien, à nos yeux, de majestueux. Voyez comment la mythologie antique est traitée bien familièrement par Offenbach, par exemple : on rit de toutes ces divines disputes, qui ressemblent fort parfois à des scènes de ménage. De toute façon, l’Histoire, pensons-nous, a tout balayé, et aussi bien la Grèce que Rome ont répudié leur passé « païen », pour n’adopter que le Dieu unique.
Je ferai toutefois remarquer que le polythéisme tel qu’il existait autrefois en Grèce existe bel et bien encore en Inde, qui nous en donne une idée vivante : je veux parler de l’hindouisme, que l’islam est loin d’avoir supprimé. Méfions-nous donc d’un naïf ethnocentrisme, qui nous fait croire universels les choix et les refus que nous avons faits.
Pour le fond de la question, je dirai le regret que j’en éprouve. Chateaubriand a écrit un Génie du christianisme. Qui en écrira un du polythéisme ? Les dieux multiples et divers représentaient en effet les différentes postures et valeurs que nous pouvons voir incarnées dans nos vies, et qui sont loin de toutes s’accorder facilement. Dans l’Iliade, les dieux sont partagés en deux camps : certains soutiennent les Grecs, et d’autres les Troyens. Admirable image symbolique d’une division des valeurs, ou comme on dit savamment d’un « partage axiologique », dont nous faisons constamment l’expérience.
La Tragédie grecque le montre aussi, et c’est là son profond génie : Antigone a raison, mais Créon n’a pas tort. Cette complexité essentielle ne condamne certes pas au nihilisme, l’ambivalence n’étant pas l’équivalence : Sophocle n’est pas Anouilh. Mais elle insuffle dans l’esprit une salutaire prudence quant à l’abord des conflits, et la nécessité d’une patiente recherche quant à la possibilité de leur résolution.
À l’inverse, le monothéisme peut mener à ce que j’ai appelé à propos de la méthode Coué le « monoïdéisme » (voir : Positivité). Du « Dieu jaloux » (Exode 20/5), on peut aller au « zèle pour sa maison » (Psaume 69/9 ; Jean 2/17), c’est-à-dire littéralement au fanatisme. Plus pur sans doute dans son principe, le monothéisme me semble plus dangereux dans son application. À nous donc de faire qu’il échappe à ce péril !
Nota : Un recueil de toutes les chroniques précédentes, que j'ai données à Golias Hebdo de fin décembre 2008 à début mars 2014, est disponible en version enrichie, assorti de nombreux liens internes et externes facilitant son exploitation, sous forme de livre électronique multimédia :
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