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est le remède essentiel face au sentiment de notre finitude. La vie, comme le dit Hermann Hesse à la fin du Loup des steppes, est une TSF. Pour quelques instants de musique sublime, il faut subir les parasites, les crachotements, les miaulements des ondes folles. Un instant on entend Mozart, l’instant d’après les grésillements, ou le spot publicitaire, ou l’interférence de la station voisine. Mozart violé par de la friture : c’est l’image et la loi de l’existence.
Ou encore, cette dernière est comme un grand fleuve, qui charrie de tout : pépites et embâcles, indifféremment. Selon La Fontaine : « C’est un torrent, qu’y faire ? Cela fut et sera toujours. »
Dans la vie, on ne peut zapper. Il faut donc prendre au sérieux ce qui en vaut la peine, et rire du reste. Regarder les choses en farce. Aussi l’humour prouve la plasticité de l’être, sa capacité à échapper au refuge des certitudes. Il ne s’agit pas de nier l’exaltation, mais l’orgueil de l’exaltation ; une part de banalisation est inévitable. Le tragique demeure, même quand le sérieux disparaît. « Il n’y a pas de sérieux, mais il y a le tragique », dit Montherlant dans Le Chaos et la Nuit. Dans cette existence mêlée, je navigue entre deux interjections, l’admiration et le mépris : la vie est faite de Oh ! et de Bah !
On a défini l’humour comme la « politesse du désespoir » ; c’est une façon élégante de se sortir d’une situation, sans pour autant se tirer d’affaire : saura-t-on mourir avec savoir-vivre ? Aussi l’humour est comme les essuie-glaces d’une voiture : ils permettent d’avancer, mais n’empêchent pas la pluie de tomber.
Inversion de l’importance habituellement accordée aux choses, il invite l’esprit à la prudence. Que savons-nous du tout des choses ? « Dieu rit quand l’homme pense », dit un proverbe juif. L’humour peut-être lu comme sentiment et signe de la transcendance absolue de Dieu – ou de l’échec du logos humain.
Exemplaire à cet égard est l’humour juif : Chaplin, Woody Allen, mais aussi Freud… Réhabilitation du petit, dévalorisation du grand, « renversant les puissants de leur trône et élevant les humbles », comme dit le Magnificat, il subvertit les habitudes mentales. Il joint le futile à l’agréable. La parole évangélique : « Les premiers seront les derniers, les derniers seront les premiers », est de ce point de vue totalement humoristique.
Dans un monde d’humoristes, les chefs subjuguant les peuples, les ayatollahs divers, sont impossibles. L’humour est le meilleur antidote au fanatisme. Tout ce qui concerne le rire est tabou dans les cultures closes, psychorigides. Comme le montre Umberto Eco dans Le Nom de la rose, si on commence à rire de quelque chose, où s’arrêtera-t-on ? De ce point de vue l’humour est le plus grand des bienfaiteurs culturels, peut-être le signe des cultures les plus achevées.
16 décembre 2010
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Ce texte est d'abord paru dans le journal Golias Hebdo. D'autres textes comparables figurent dans l'ouvrage suivant, premier tome d'une collection, dont on peut feuilleter le début (Lire un extrait), et qu'on peut acheter sur le site de l'éditeur (Vers la librairie BoD). Le livre est aussi disponible sur commande en librairie, ou sur les sites de vente en ligne.
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DESCRIPTION
Les textes composant cet ouvrage sont tous parus, sous leur forme initiale, dans un journal hebdomadaire. Souvent inspirés par l'actualité, ce qui les rend plus vivants, ils ont cependant un contenu intemporel, et se prêtent toujours à une réflexion philosophique. Ils peuvent servir de points de départ pour la réflexion individuelle du lecteur, mais aussi ils peuvent alimenter des débats thématiques collectifs (cours scolaires, cafés-philo, réunions de réflexion...).
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