En complément à mon article précédent sur l'humour, voici maintenant un article sur l'ironie :
I |
l faut bien la distinguer de l’humour [v. Humour (lien)], bien que beaucoup d’amuseurs publics se pavanant sur les médias se prétendent humoristes, alors qu’ils ne sont que des ironistes de bas étage.
L’humour consiste à se moquer de quelque chose qu’on aime, et l’ironie, à dévaloriser, de façon souvent très agressive, quelque chose que l’on n’aime pas. Le vrai humoriste peut même rire aux dépens de lui-même, alors que l’ironiste se situe de toute façon au-dessus de ce qu’il attaque, et aux dépens de quoi il fait rire.
C’est pourquoi il y a une grande sagesse de l’humour, et au contraire une grande présomption ou fatuité de la part de celui qui manie l’ironie. Sûr de lui, il ne se met pas en question, et peut épingler ses victimes avec un grand sadisme.
La différence est entre une grande plasticité intellectuelle propre à l’humoriste, sensible à tous les aspects complexes et incertains d’une situation, et au contraire une psychorigidité très fréquente chez l’ironiste. Par exemple Raymond Devos pratiquait seulement l’humour, et ne comprenait pas par exemple qu’on pût rire de certains malheurs et détresses, qui pour lui n’appelaient que l’empathie. Sa vision était charitable, et donc humaine.
Nous en sommes loin aujourd’hui, à entendre la façon dont nos bateleurs d’estrade médiatique se moquent de leurs victimes, ne reculant devant aucun coup bas pour faire rire. Leur ego surdimensionné n’admet aucune pitié. Cela correspond d’ailleurs à l’état actuel des esprits, où l’agressivité et le désir de rabaisser dominent très souvent.
On objectera que l’ironie sert parfois salutairement la polémique, et qu’en tant que telle elle est une arme de lutte contre les abus de toute sorte, dans l’ordre social par exemple. On peut citer les philosophes du 18e siècle qui l’ont maniée, dont Voltaire.
Mais ce dernier avait du talent, et d’ailleurs ne reculait pas à certains moments lui-même devant l’humour. Au lieu que nos modernes ironistes visent très bas, et font rire grassement un public : ils ne s’adressent pas à son intelligence, mais ils flattent ses plus bas instincts, ceux de la meute et de la curée.
Au total, le rire qu’ils suscitent n’est pas du tout subversif pour l’ordre en place. Rien de plus bas, trivial, et entièrement conformiste que la vision qu’ils véhiculent. S’appeler « humoristes » dans leur cas relève de la plus grande confusion d’esprit et du plus caractéristique abus de mot.
24 janvier 2013
/image%2F1454908%2F20210323%2Fob_51d6c4_ironie-illustration.jpg)
***
Ce texte est d'abord paru dans le journal Golias Hebdo. D'autres textes comparables figurent dans l'ouvrage suivant, premier tome d'une collection, dont on peut feuilleter le début (Lire un extrait), et qu'on peut acheter sur le site de l'éditeur (Vers la librairie BoD). Le livre est aussi disponible sur commande en librairie, ou sur les sites de vente en ligne.

15,00€Livre papier
Lire un extrait
DESCRIPTION
Les textes composant cet ouvrage sont tous parus, sous leur forme initiale, dans un journal hebdomadaire. Souvent inspirés par l'actualité, ce qui les rend plus vivants, ils ont cependant un contenu intemporel, et se prêtent toujours à une réflexion philosophique. Ils peuvent servir de points de départ pour la réflexion individuelle du lecteur, mais aussi ils peuvent alimenter des débats thématiques collectifs (cours scolaires, cafés-philo, réunions de réflexion...).
Pour voir l'ensemble des volumes parus dans cette collection, cliquer ici.
commenter cet article …