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2 octobre 2010 6 02 /10 /octobre /2010 12:25

¨(Extraits de mes ouvrages)  


En général la nature ne nous invite nullement, à différer, dans le temps, la réalisation d’un désir, par réflexion d’un inconvénient qui en pourrait survenir. Ce délai que l’on se fixe alors, ou cette frustration que l’on s’impose, supposent toujours une distance prise par rapport au monde des pulsions, tout à fait étrangère aux « lois » du monde de la na­ture.

Supposons que je renonce à une promenade alors qu’il fait beau, pour rester chez moi à travailler, en vue de la réussite à un examen, je me situe dans une perspective d’anticipation, et je sacrifie un bien présentement tout à fait accessible, à un autre bien, celui-là totalement hypothétique, mais préféré, et escompté pour l’avenir. Ici encore, la prévision et la pré­voyance donnent une finalité à ma conduite, qui échappe dès lors aux dé­terminismes et aux causalités – choses seulement naturelles...

Je passe, comme disent les philosophes, de l’ordre du « désir », à celui de la « volonté ». Vouloir vraiment, disent-ils, est « vouloir ce qu’on ne veut pas » : c’est-à-dire, dire non à son désir.

Peut-être l’essentiel du processus de culture est-il là : la culture serait toujours une sorte de « distance prise » (vis-à-vis des instincts...). En ce sens, la culture est le sens du futur, qui la caractérise toute en­tière. Si je dis seulement : « Demain, je ferai cela », je ne suis plus dans la sphère de la nature. Le futur, considéré même comme temps grammati­cal, définit toute la culture.

L’homme est une différence différante. Sur ce sens essentiel de l’anticipation, voyez la phrase de Valéry : « Toute civilisation est perspective. » C’est de la même façon, par le sens du futur, que Georges Steiner définit la culture : Dans le château de Barbe Bleue – Notes pour une définition de la culture    (Gallimard, « Folio Essais »).

Ce qui différencie l’homme de l’animal ce n’est pas la complexité du travail effectué mais le rapport au temps. Le travail des abeilles par exemple, ainsi que Marx l’a remarqué, est très complexe. Mais si on ne vit que dans et pour le présent, on régresse à l’animal. Pour cette perte aujourd’hui du sens du futur, on peut voir les travaux de Michel Maffesoli. On ne vit plus aujourd’hui sur un report de jouissance. Pour Maffesoli ce n’est pas là la fin de la culture, mais la marque d’une nouvelle culture, n’intégrant plus l’idéologie sacrificielle traditionnelle. – Mais j’en doute : c’est plutôt il me semble le règne de l’immédiateté pulsionnelle, de l’absence de projet et de l’unidimensionnalité d’individus sans structure – je veux dire avec seulement appétits et réflexes, sans réflexion.

Sur l’absence chez certains du sens du futur, voyez la phrase par laquelle Montesquieu, dans L’esprit des lois, définit le despotisme : « Quand les sauvages de l’Amérique veulent avoir du fruit, ils coupent l’arbre, et mangent le fruit à terre. » Voyez aussi du même auteur, dans les Lettres persanes, son apologue des Troglodytes, où il oppose les bon Troglodytes (prévoyants), et les mauvais (imprévoyants).

Notez, comme tout se tient – Mélange c'est l'esprit –, le rôle de la perspective en peinture. Elle est inventée à l’époque où l’utopie se fait à nouveau jour à la Renaissance : on y projette pour le futur la cité idéale (ex. : Campanella). La perspective serait la matérialisation plastique de cette orientation mentale. Elle est en tout cas un procédé et une projection intellectuels bien plus que sensibles. – L’art moderne au contraire valorise l’immédiateté, l’urgence, la proximité : d’où peut-être son refus de la perspective et son espace bidimensionnel, frontal. (pp.11-12)

  

 © M.T. – 2010

 


Ce texte est un extrait légèrement augmenté du chapitre premier de mon ouvrage Comprendre la culture générale, consacré à Nature et Culture :

  Couverture de Comprendre la culture générale

 

Lien pour cet ouvrage : cliquer ici

 

Pour écouter le développement de ce thème en émission de radio : cliquer ici.

→ Pour lire le paragraphe précédent, auquel celui-ci succède dans ce même chapitre, cliquer sur : Éros et Agapè.

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1 octobre 2010 5 01 /10 /octobre /2010 22:59

 N" (Textes sur images)

On peut voir une illustration d'Agapè (cf. Éros et Agapè) dans ce tableau de Rembrandt, La fiancée juive, qui se trouve au  Rijksmuseum d'Amsterdam :

 

Rembrandt, La fiancée juive

 

Rembrandt, La fiancée juive, détail

 

  Par le jeu de ces mains,

Par leur jonction pensive,

Futur et sa promise

S'ouvrent des lendemains...

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1 octobre 2010 5 01 /10 /octobre /2010 22:14

¨(Extraits de mes ouvrages)  


Cependant les hommes ont inventé face au monde des pulsions, ou au monde « naturel », un autre monde. Dans bien des œuvres, ces deux mondes s’affrontent.

 La femme du Boulanger, de Pagnol, d’après Giono, est une admirable allé­gorie de la culture s’opposant à la nature : à l’incendie de la chair, de la pul­sion, de la passion (adultère), s’oppose la tendresse (conjugale), où est toute la culture : comme on le voit dans l’admirable discours du bou­langer à la fin du film ; de la même façon, au berger, nomade, s’opposent les villa­geois, sédentaires. Les deux univers s’opposent, les enjeux vont bien au-delà du cas personnel de l’héroïne.

Que dit le boulanger à sa femme ? Qu’il y a la beauté, évidemment, et le désir des sens ; mais aussi le don, l’offrande, le sacrifice de soi : cela n’est pas négligeable. « Et la tendresse, que fais-tu de la tendresse... ? » Ce n’est pas le berger qui se serait levé la nuit pour voir si elle dormait, était bien couverte, etc. ; ce n’est pas lui non plus qui lui aurait apporté le petit déjeuner au lit, aurait pris plaisir à la regarder manger, etc. Bref, on est là dans un tout autre monde que celui des pulsions (naturelles) ; on est dans le monde, non des sensations, mais des sentiments ; non de la passion, mais de l’action. C’est un monde substitutif, qui n’est pas un pis-aller ou le deuil du précédent. Évidemment ce monde est le contraire de la passion, et pour cette raison il paraît n’être pas passionnant. Mais on aurait tort de le mépriser. Par lui les hommes se sont élevés au-dessus des déterminismes, ou au moins ont-ils eu l’impression de le faire.

Ainsi il y a éros, ou la pulsion naturelle, captative, et agapè, amour de don, oblatif. La fidélité alors prend un sens, qu’elle n’avait pas tout à l’heure. Promettre fidélité à quelqu’un n’est pas s’engager à ne désirer que lui ou qu’elle, ce qui est absurde puisque le désir ne dépend pas de nous : je peux aimer ma compagne, et désirer la première fille qui passe dans la rue. Mais c’est s’engager à rendre quelqu’un heureux.

Aimer c’est vouloir aimer. La fidélité, absurde dans une perspective de causalité, prend son sens dans une perspective de finalité. Si on promet à quelqu’un de lui être fidèle, ce n’est pas qu’on ne désirera personne d’autre : on s’engage simplement à s’intéresser à quelqu’un. Au reste être fidèle à quelqu’un, ce n’est pas seulement ne pas lui être infidèle, si on doit par toute son attitude le lui rappeler constamment, en le lui faisant ainsi regretter. L’important ici est la promesse. Qu’on ne la tienne pas est une autre question : au moins a-t-on été capable de la faire. Le mariage monogamique, qui est une absurdité naturelle, s’éclaire alors. On épouse quelqu’un non pas parce qu’on l’aime, mais pour l’aimer. Ils s’aiment, non pour ce qu’ils sont, mais pour ce qu’ils deviendront l’un par l’autre. Projet, perspective, futur, anticipa­tion, on quitte le monde de la nature pour entrer dans un autre monde, celui de la culture.

On voit bien cela dans la liturgie latine du mariage : Ego conjungo vos in matrimonium – « Je vous unis pour le mariage ». L'accusatif indique ici la direction. L’union est à construire, à bâtir. On n’est pas dedans au départ, il n’y a pas in matrimonio, un ablatif qui indiquerait simplement le lieu où l'on se trouve.

Aimer, c’est aider. « Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour », dit Cocteau, dans Les dames du bois de Boulogne de Bresson. Brassens a admirablement montré cela dans sa chanson Bonhomme. Agapè a été admirablement définie dans le chapitre 13 de la première épitre aux Corinthiens. Ce texte est repris à la fin de Trois couleurs Bleu, film de Kieslowski : agapè y figure et incarne la victoire des forces de vie sur celles de mort.

L’opposition d’éros captatif et d’agapè oblatif fait la matière du classique de Denis de Rougemont, L’amour et l’occident. On peut voir aussi le film du même Kieslowski Décalogue 6, ou en une autre version Brève histoire d’amour. La fin est admirable, en tant que triomphe de la compassion sur la passion. Le 6e commandement, qui fait la matière de ce Décalogue 6 (« Tu ne seras pas luxurieux ») est ordinairement compris comme une défense, assortie de menace éventuellement terrorisante, alors qu’il faut le comprendre simplement comme un conseil pour advenir à l’humanité, et une mise en garde si on ne l'observe pas : « Luxurieux, tu ne seras pas. »

Dire : « C’est humain » pour excuser une faiblesse est une absurdité. Il faut chercher l’homme non dans ce qu’il est, mais dans ce qui le dépasse, dans ce vers quoi il cherche à s’élever. (pp.9-10)

  

 © M.T. – 2010

 


Ce texte est un extrait légèrement augmenté du chapitre premier de mon ouvrage Comprendre la culture générale, consacré à Nature et Culture :

  Couverture de Comprendre la culture générale

 

Lien pour cet ouvrage : cliquer ici

 

Pour écouter le développement de ce thème en émission de radio : cliquer ici.

→ Pour lire le paragraphe précédent, auquel celui-ci répond dans ce même chapitre, cliquer sur : Les lois de la nature.

→ Pour une illustration possible d'Agapè, voir Agapè : La fiancée juive.

 

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  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).
  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).

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