J’ai vu l’excellent film de Stéphane Brizé, La Loi du marché, qui a été présenté en sélection officielle pour la compétition du dernier Festival de Cannes. On y voit un licencié « pour raison économique », obligé pour survivre de prendre un emploi de surveillant dans un supermarché, donc d’espionner les clients dont certains lui ressemblent par une identique pauvreté, qui les contraint parfois à voler dans les rayons. Il est donc transformé en ennemi de personnes de sa propre classe sociale. Tout cela jusqu’à un ultime sursaut de dignité : dans la dernière séquence du film il refuse enfin ce travail alimentaire et déshonorant.
Le système économique ici dénoncé, celui du capitalisme sauvage et sans lois, est prodigieux de perversité, en ce qu’il oppose entre eux les exclus du travail. Ils sont pris dans une lutte pour la survie, qui les fait se battre contre ceux-là mêmes qui sont réduits au même état qu’eux. J’ai pensé aussi à Rosetta, ce film des frères Dardenne sorti en 1999, et qui a remporté la Palme d’or la même année à Cannes. L’héroïne, pour survivre, dénonce pour malversation un collègue de travail qui pourtant lui manifeste beaucoup de bienveillance : simplement elle veut prendre sa place. Sa rédemption n’est esquissée qu’à l’extrême fin du film, où le dernier plan la montre, pour la première fois, le visage en larmes face à cet « ange » qu’elle a dénoncé et remplacé. Peut-être, pleurant, sera-t-elle spirituellement sauvée...
En tout cas, l’obscénité du système économique dominant réside dans la totale déshumanisation des dominés, qui au lieu de le contester par réflexion froide s’entredéchirent par instinct de survie pour avoir simplement du travail. Ils pourraient méditer en la transposant, et tous les citoyens avec eux, l’essentielle phrase désaliénante de Jésus : « Le sabbat a été fait pour l’homme, et non l’homme pour le sabbat. » (Marc 2/27) Remplacez la « Loi du sabbat » par toutes les autres « Lois » factices qui sont supposées peser sur nous, et spécialement par la « Loi du marché » : « L’économie a été faite pour l’homme, et non l’homme pour l’économie ». Quand le comprendra-t-on ?
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Nota : Un recueil de toutes les chroniques précédentes, que j'ai données à Golias Hebdo de fin décembre 2008 à début mars 2014, est disponible en version enrichie, avec regroupement thématique des notions, et assorti de nombreux liens internes et externes facilitant son exploitation, sous forme de livre électronique multimédia :
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