En complément à ma photo et mon poème Brisures, publiés hier, voici une ancienne chronique sur ce sujet (parue en juillet 2015) :
Brisure
Elle est ordinairement vue de façon négative. Qu’un objet cher, ou encore notre cœur, vienne à se briser, et nous voici bien malheureux. Cependant qui nous dit que nous avons raisons de nous affliger ainsi ? Nous pouvons essayer la réparation, et ce qui s’est brisé nous sera plus cher encore.
Je pense à l’usage japonais du kintsugi : c’est une méthode de réfection des poteries brisées, les traces de la réparation étant volontairement laissées bien visibles, et donnant ainsi à l’objet une plus-value. On prend en compte son passé, son histoire et les accidents éventuels qu’il a pu connaître. Sa brisure ne signifie plus sa fin ou sa mise au rebut, mais un renouveau, le début d’un autre cycle et une continuité dans son utilisation. C’est pourquoi on ne cache pas les réparations, mais au contraire on les met en avant.
Cela nous surprend sans doute, habitués que nous sommes, dans une civilisation de l’éphémère et du jetable, à ne plus rien réparer, mais à tout remplacer. Pourtant nous devrions méditer sur l’exemple japonais. Les conséquences philosophiques et esthétiques sont considérables. D'abord elles évitent l’amnésie et l’absorption dans l’instant qui nous caractérisent, en préservant la mémoire des choses. Chargées d’histoire et de cicatrices, elles nous touchent plus que flambant neuves. Qui ne voit que ce qui fait leur prix même est d’être fragiles et toujours menacées ?
D’autre part, la réussite en art est toujours dans la brisure d’un code, le bug dans le programme. Ce qui est attendu touche moins que ce qui surprend et désarçonne, brise l’habitude. Quand nous voulons dire que telle œuvre est faible, nous disons bien qu’« elle ne casse rien ». Et quand elle nous touche au contraire, nous disons qu'elle « déchire ». Le chanteur de flamenco, pour toucher l’auditoire et atteindre enfin le duende, boit une rasade d’alcool fort, pour volontairement se briser la voix. Éraillée, elle fera mieux parler l’âme qu’une voix lisse. Cela vaut aussi pour la poésie : voyez la conférence de Lorca Jeu et théorie du duende (1930). Certes on reste toujours blessé par la rencontre de l’Ange divin, ainsi qu’il est arrivé à Jacob (Genèse 32/24-32). Mais dans ces blessures et brisures de la vie l’Essentiel nous effleure : sachons les écouter.
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Voici le lien pour voir ma photo et lire mon poème :
Brisures - Le blog de michel.theron.over-blog.fr
Au moindre souffle du vent se brise le miroir de l'eau. Au moindre mot se brise le bonheur. Au moindre regard se brise le cœur. Cependant est banal ce qui ne casse rien, et ce qui déchire touche ...
Brisures (photo et poème)
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