Le sémiologue Umberto Eco, dont nous déplorons la disparition récente, a déclaré : « Les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions d’imbéciles qui, avant, ne parlaient qu’au bar, après un verre de vin et ne causaient aucun tort à la collectivité. On les faisait taire tout de suite alors qu’aujourd’hui ils ont le même droit de parole qu’un prix Nobel. C’est l’invasion des imbéciles. »
Je suis assez de son avis. Exception faite bien sûr des lanceurs d’alertes et des sentinelles réagissant en matière sociale et politique, qui constituent un bon contre-pouvoir, beaucoup d’internautes qui s’échangent à qui mieux mieux leurs opinions sur la Toile sont effectivement consternants d’imbécillité. Chacun pense qu’il peut, sans se poser la question de sa propre compétence, affirmer n’importe quoi sur n’importe quel sujet. Je passe sur l’orthographe, qui est si catastrophique parfois qu’on ne peut lire jusqu’à la deuxième ligne de tel ou tel « post ». Pour le fond, on voit très bien que le réflexe remplace la réflexion, et que l’« opinion » a été émise sous le seul effet d’un premier mouvement, d’une émotion que n’a pas contrôlée la prudence. C’est de l’émission verbale automatique, comme un tireur qui déchargerait son arme à l’aveuglette sans prendre la précaution de viser au préalable. En guise d’analyse, on a du catéchisme, du prêt-à-penser, de la pure doxa « recrachée » par psittacisme ou écholalie. On résonne plus qu’on ne raisonne. Si Socrate, l’ironique pourfendeur des opinions toutes faites, revenait sur terre, gageons qu’il en serait horrifié.
Car ce n’est pas la recherche objective et précautionneuse qui est valorisée, mais l’autopromotion narcissique. Me voici, moi, avec mes idées, et peu m’importent celles des autres ! D’où une très grande agressivité, qui fait que beaucoup se sont retirés de ces réseaux meurtriers, qui pratiquent l’hallali. Car on peut blesser irrémédiablement quelqu’un par un seul mot : coup de langue, coup de lance. J’ai déjà signalé cet acharnement des « dislikes » et des « pouces baissés » dans mon article Brutalité, dans le numéro 246 de Golias Hebdo. – Au total, pour un commentaire intéressant, à côté, combien d’imbéciles !