Avant de le juger et le condamner, il faut d’abord le penser. C’est ce que j’ai retiré de l’excellent documentaire Hannah Arendt – Du devoir de la désobéissance civile, diffusé sur Arte le 9 mars dernier. Le jugement en effet est immédiat, superficiel et ponctuel, alors que pensée et réflexion, en prenant du recul, vont beaucoup plus loin.
Venant de publier son Eichmann à Jérusalem, où elle développait l’idée de la « banalité du mal », la philosophe fut rejetée de la communauté juive dont elle provenait : cette dernière préférait qu’Eichmann fût un monstre diabolique, dont la conduite, incompréhensible à la raison, n’appelait rien d’autre que répulsion de principe, jugement et condamnation. Bien au contraire, Hannah Arendt défendit l’idée que la pensée pouvait s’exercer sur ce cas-là. Eichmann était un petit fonctionnaire zélé, son seul tort fut de s’en tenir à des idées toutes faites sur la nature de son rôle, dont il ne voulut pas sortir, au risque de voir toute sa personnalité s’effondrer : rôle d’un simple exécutant à l’esprit très étroit, obéissant aveuglément aux ordres, qui tirait son être même de cette obéissance.
Perspective très lucide : combien d’entre les hommes furent, sont, et seront dans ce même cas, par carence absolue de réflexion et de pensée ! Les expériences de Stanley Milgram, rapportées dans dans son livre La Soumission à l'autorité, corroborent tout à fait les analyses de la philosophe. Elles ont inspiré une séquence importante du film d’Henri Verneuil, I... comme Icare.
Cependant, dire que le mal est banal, que ses racines sont en nous-mêmes et tiennent à notre propre structure, ne signifie pas le banaliser et donc l’absoudre. Simplement il faut savoir en reconnaître les conditions de survenue. N’importe qui peut dans telle circonstance qu’il s’imagine contraignante et par sa paresse à réfléchir sur ce qu’il fait concrètement se comporter en tortionnaire et en bourreau. L’émission montrait ainsi que le totalitarisme, sur lequel Hannah Arendt a écrit son livre fondamental, se nourrit d’idées toutes faites et abstraites, et s’aveugle totalement sur les faits réels et concrets propres à les démentir. En quoi il est aussi un des principes générateurs du mal.
L’expérimentateur (E) amène le sujet (S) à infliger des chocs électriques à un autre participant, l’apprenant (A), qui est en fait un acteur. La majorité des participants continuent à infliger les prétendus chocs jusqu'au maximum prévu (450 V) en dépit des plaintes de l'acteur. (Copyright Wikipedia)
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Voir aussi :
Obéissance I - Le blog de michel.theron.over-blog.fr
¨(Extraits de mes ouvrages) Cet été, à la sortie d'Eyne (66), en direction de Mont-Louis, j'ai lu sur un transformateur électrique une inscription qui m'a fait penser à ce que j'ai écrit dan...
http://www.michel-theron.fr/article-obeissance-56624296.html
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