On vient d’avoir un sidérant exemple du désastre où elle conduit. Je pense à ces bagarres auxquelles a donné lieu, dans plusieurs magasins Intermarché, une promotion sur la crème à tartiner Nutella. Le pot familial de 950 grammes était proposé à prix cassé de 70%, à 1,40 euro au lieu de 4,50 euros. On a assisté à des scènes d’émeute : des clients dans la Loire, le Nord, le Pas-de-Calais ou le Rhône se sont battus, se sont tiré les cheveux et se sont arraché les vêtements, et les magasins ont été en rupture de stock en moins d’une heure (Source : LesEchos.fr, 25/01/2018). J'ai même entendu à la radio que la police ou la gendarmerie est intervenue à cette occasion.
Ainsi, non content d’empoisonner régulièrement leur progéniture à grand renfort d’huile de palme et de sucre, les parents n’ont pas hésité à prendre des risques physiques pour se jeter sur ce produit, qui fait le bonheur des cardiologues. Et d’autre part on peut se demander où s’arrêtera cette frénésie de consommation, cette fièvre acheteuse, si elle se manifeste déjà de cette façon pour de vulgaires pots de Nutella.
On a déjà vu des ruées de ce type lors de l’ouverture des soldes. C’est un comportement animal, sans aucune réflexion : finalement, qu’est-ce qui intéresse nos contemporains, sinon la fripe et la frite ? Leur but ? « Vivre et penser comme des porcs », selon le titre d’un livre de Gilles Châtelet. Tout cela est orchestré par les supermarchés, ces Temples modernes : si les églises sont vides, eux sont pleins. Le cantique est la publicité, que l’on ingère à tout bout de champ.
Au fond de tout cela, il y a un grand nihilisme. On ne pense qu’à bâfrer et à frimer par des fringues, et on emplit son caddie, quitte à écraser les autres. Du néant sous des néons... Le système perdure, dit Baudrillard dans La Société de consommation, « avec une fixité obscène ». S’écroulera-t-il un jour ? Je ne sais. En attendant, même si on ne voit pas de dieu de remplacement, la seule chose à faire est la sécession. Comme dit René Char : « Obéissez à vos porcs qui existent, je me soumets à mes dieux qui n’existent pas. »
Article paru dans Golias Hebdo, 8 février 2018

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