En complément à ma vidéo parue hier Le Regard des autres (lien), je réédite ici une chronique concernant l'Honneur déjà parue dans Golias Hebdo. Les mêmes idées en sont développées aussi dans mon livre Sur les chemins de la sagesse :
D'abord il ne faut pas le confondre avec les marques d’honneur. Cela ne signifie pas toujours grand-chose que d’être honoré, puisque cela ne veut pas dire forcément qu’on soit honorable. Dans les distinctions officielles, on n’est pas sûr de se trouver en bonne compagnie. Il y a même des cas où les honneurs déshonorent, et où, quand le rouge ne monte pas au front, il s’arrête à la boutonnière.
Ensuite l’honneur est lié à ce qu’on fait, non à ce qu’on nous fait. S’imaginer touché dans son honneur si on nous gifle, ou si on nous marche sur les pieds, ou même si on nous regarde de travers, est stupide.
De ce point de vue, l’honneur chevaleresque tel qu’on le voit dans Le Cid par exemple n’a pas disparu. Il est même la règle dans les mœurs des banlieues : il m’a mal regardé, il m’a manqué de respect, etc. N’était la langue, le monde de cette pièce absurde reste totalement compréhensible aujourd’hui par certains.
Combien de classiques encore enseignés avec dévotion sont à revisiter ! Mais quel professeur osera dire à ses élèves que tuer quelqu’un pour un soufflet est une ineptie ? Qu’en vérité est déshonoré non celui qui l’a reçu, mais celui qui l’a donné ?
« Frappe, mais écoute ! », dit un jour Socrate à quelqu’un qui l’avait molesté, niant par là qu’il ait été outragé en quelque façon.
Schopenhauer l’a bien montré, dans ses Aphorismes sur la sagesse dans la vie. L’honneur dit chevaleresque renvoie à ce qu’il y a de plus animal dans l’homme : on doit respecter mon territoire ou ma propriété, sinon je riposte immédiatement. En plus il valorise, chez l’être, ce qu’il représente aux yeux des autres, alors que l’essentiel devrait être ce qu’il est au fond de lui-même : je vis sous le regard d’autrui, j’en dépends, et pour cela je ne veux pas perdre la face si on en vient à « me manquer ».
Une femme victime d’un viol n’est pas déshonorée. C’est l’agresseur criminel qui l’est, par ce qu’il a fait. Par quelle aberration en est-on venu à considérer un viol comme une tache ou une souillure faite sur la victime ? Et pourquoi s’en prendre à elle ? Pourquoi y a-t-il encore, dans certaines cultures attardées, des « crimes d’honneur » ? Sauf à considérer la femme comme un objet, une propriété personnelle qu’il ne faut pas dévaloriser si on veut qu’elle garde tout son prix : en somme, un territoire à défendre.
La phrase de Pagnol : « L’honneur, c’est comme les allumettes, ça ne sert qu’une fois », est bien tournée, mais le fond en est archaïque et barbare. Mieux vaut donc ne pas la supposer sienne, mais simplement mise ici dans la bouche de son personnage, et sachons réexaminer ce que l’opinion, l’éducation, l’école même ont pu nous inculquer. Certaines valeurs qui nous semblent naturelles sont, tout simplement, absurdes.
2 juillet 2009
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Ce texte est extrait du tome 1 de mon recueil de chroniques Des mots pour le dire. Ces recueils sont disponibles sur commande en librairie, sur les plateformes de vente en ligne, ou sur le site de l'éditeur BoD, où on peut en lire un extrait et aussi les acheter. Cliquer : ici.

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