Après les événements tragiques qui viennent de se produire à la Préfecture de police de Paris, notre président a appelé tous les citoyens à la vigilance, et à signaler aux autorités les moindres signes qui pourraient faire penser chez tel ou tel à une radicalisation fanatisante. Aussitôt certains bien-pensants se sont empressés d’y voir un appel à la délation.
Bien sûr, en un sens ils peuvent avoir raison. On sait que dans les périodes troublées surtout les lettres anonymes de dénonciation pullulent. L’exemple-type en est le film de Clouzot Le Corbeau. Si donc je vois que mon voisin, que je n’aime pas, s’est soudainement laissé pousser sa barbe, qu’est-ce qui m’empêche d’aller au commissariat le dénoncer pour radicalisation ? Tout le monde voit ici le risque encouru. En outre, on sait que les terroristes en puissance font en sorte de ne pas se faire remarquer avant de commettre leur crime. Donc l’appel présidentiel serait à la fois dangereux et inutile, et en outre il pourrait exonérer les forces de police de faire les efforts qui leur incombent spécifiquement. Enfin, on sait que, moralement, « il est vilain de rapporter ». Et il y aurait là, surtout si on le fait anonymement, une certaine lâcheté.
Et cependant on peut tout aussi bien dire, au contraire, que la lâcheté est de l’autre côté. En effet, on sait que le droit punit le refus de témoignage et la non-dénonciation de crime. Si je sais que mon voisin bat sa femme ou ses enfants, je dois le signaler, sinon je suis coupable de non-assistance à personne en danger. Si je laisse faire, je suis complice de celui qui fait. Complice, disait Péguy, c’est même pire qu’auteur. Car celui qui fait, il a au moins le courage de faire. Tandis que chez celui qui laisse faire, il y a la lâcheté en plus. L’histoire le montre à foison : le non-agir des bien-pensants fait plus de mal que la hardiesse des criminels. Le silence des pantoufles est pire que le bruit des bottes.
Bref, cette question est, comme bien d’autres concernant l’humain, d’une extrême complexité, et on ne s’en sort pas par des slogans ou des pudeurs effarouchées. Il y a des indignations qui sont bien sélectives. En fait, comme toujours, tout est affaire de cas, de circonstance (voir mon billet Jésuite, Golias Hebdo, n°594). J’admire ceux qui tranchent en toute chose de façon péremptoire et définitive. Autrement dit, je m’étonne de les trouver si naïfs.

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