Apparemment elle ne nous est pas essentielle, selon notre gouvernement, qui a continué d’interdire, pour des raisons sanitaires, l’ouverture des théâtres, des cinémas et des musées. Mais parallèlement il a autorisé l’ouverture des magasins et des centres commerciaux.
Je remarque d’abord que l’affluence est au moins aussi grande dans les seconds que ce qu’elle aurait été dans les premiers, s’ils avaient ouvert. Au surplus, les mêmes précautions y auraient été prises, à en croire les responsables.
Mais plus radicalement il importe de voir ce qu’implique le choix gouvernemental, son orientation et son oubli. Le but de la décision est l’intérêt économique : les gens doivent consommer pour assurer la circulation des marchandises et de l’argent. Mais l’oubli majeur est celui de ce qu’est véritablement la culture.
Elle est toujours une distance prise vis-à-vis de la pulsion élémentaire, engendrant une réflexion à son propos. Par exemple, si devant un magasin je désire instinctivement un objet que je vois dans la vitrine, je peux voir fugitivement mon reflet dans la glace, et me voyant en train de désirer je peux me demander si j’ai bien raison de le faire. À l’intérieur de moi se fait un discours, qui peut me retenir dans ma pulsion acheteuse. Et mon vrai moi peut apparaître, par ce dédoublement, cette définalisation, l’embryon d’une mise en récit de ce que je vis.
La vie n’existe vraiment que représentée, mise en forme et mise en scène dans un récit prenant sa distance vis-à-vis des événements immédiatement vécus. Ces récits sont véritablement instituants : ils façonnent l’homme pour qu’il ressemble à l’homme. En eux-mêmes, ils sont purs objets de langage. Que serons-nous, disait Valéry, sans le secours de ce qui n’existe pas ? Mais aussi ces récits existent au fond de nous-mêmes, et opèrent en nous, nous mettant en chemin vers une métamorphose.
Le gouvernement a autorisé l’ouverture des lieux de culte. Pourquoi ne pas l’avoir fait aussi pour les temples de la culture, où ce qui est délivré est exactement de même nature, au moins pour un agnostique ? Récit religieux et récit culturel ont un même contenu : une mise en scène explicative et institutrice de la vie. Fils de ses propres fictions, l’homme descend du Songe.
De ses prédécesseurs immédiats je n’aurais pas été surpris. Mais je me serais attendu à autre chose, de la part d’un président qui se pique de culture. C’est bien dommage.
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