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hez l’homme, il est très différent du besoin. Il lui ajoute l’attente, le rêve, l’imagination. Ainsi le pain chaud que je ramène de la boulangerie, il ne se contente pas d’assouvir ma faim : le touchant ou le humant, je peux rêver sur la chaleur, le foyer, etc. Il y a là tout un imaginaire, qu’il n’y plus dans le pain du supermarché, enveloppé de plastique.
Et de même que manger n’est pas seulement s’alimenter, de même l’expérience de l’amour n’est pas simplement l’exercice de la sexualité. Ce n’est pas la même chose de faire l’amour dans une voiture, et dans une prairie émaillée de fleurs : dans ce dernier cas la pulsion s’élargit à tout un ensemble, un contexte naturel et quasi-cosmique qui la poétise et l’enrichit. Amputer le désir de tout son cortège de rêves, c’est mutiler l’homme tout entier, le ramener à ce que Marcuse appelait l’unidimensionnalité.
Souvent aussi les désirs sont comme les textes ou les trains : chacun peut en cacher un autre. Ils ont alors une structure allégorique, au sens où ils disent autre chose (allo agoreuein, en grec) que ce qu’ils déclarent explicitement.
Quand nous saluons quelqu’un et parlons avec lui de la pluie ou du beau temps, nous pouvons parler de tout autre chose que de la météo : nous désirons la chaleur d’un contact. C’est ce que les linguistes appellent la fonction phatique du langage.
Quand un enfant demande un bonbon, il peut désirer autre chose qu’un bonbon : qu’on lui parle, qu’on s’occupe de lui. L’erreur alors est de le lui donner, ou, pire, de lui donner de l’argent pour qu’il s’en achète : en fait, pour ne pas avoir à s’occuper de lui. Dans le désir d’une chose il peut donc être question de tout autre chose que de la chose désirée. Même la publicité le sait : elle vend non des réalités, mais des rêves.
Le problème avec elle c’est qu’elle prétend nous les faire toucher. En quoi elle se trompe. Car très souvent la possession d’une réalité fait oublier ce que vise vraiment le désir, la justification de son attente même, c’est-à-dire la vérité, la tension qui le définit : la valeur d’un objet, d’un être, sont inséparables très souvent de leur éloignement ou de leur absence dans le présent...
C’est en quoi le désir, à la différence du besoin, est normatif. La structure du désir est un désir de structure. Mais cette exigence, constitutive de notre humanité, perdure-t-elle encore aujourd’hui, en une époque où on recherche l’assouvissement instantané des envies et l’immédiat de la satisfaction ?
4 novembre 2010
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Ce texte est paru dans le journal Golias Hebdo. D'autres textes comparables figurent dans l'ouvrage suivant, premier tome d'une collection, dont on peut feuilleter le début (Lire un extrait), et qu'on peut acheter sur le site de l'éditeur (Vers la librairie BoD). Le livre est aussi disponible sur commande en librairie, ou sur les sites de vente en ligne.

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DESCRIPTION
Les textes composant cet ouvrage sont tous parus, sous leur forme initiale, dans un journal hebdomadaire. Souvent inspirés par l'actualité, ce qui les rend plus vivants, ils ont cependant un contenu intemporel, et se prêtent toujours à une réflexion philosophique. Ils peuvent servir de points de départ pour la réflexion individuelle du lecteur, mais aussi ils peuvent alimenter des débats thématiques collectifs (cours scolaires, cafés-philo, réunions de réflexion...).
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