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n nous dit aujourd’hui qu’il faut toujours positiver, développer en soi une pensée optimiste, se persuader qu’on va réussir. Cela va du coaching dans le sport ou l’entreprise, jusqu’au fameux « développement personnel », dont les ouvrages inondent les librairies et Internet. Je pense aussi aux films ou livres destinés à remonter le moral (feel good movies, feel good books), qui alimentent cette tendance.
Cette idéologie de l’autosuggestion remonte à la méthode bien connue du pharmacien Émile Coué, dans les années 1920. À l’en croire, il fallait chaque jour se répéter, comme un mantra, la formule magique : « Tous les jours, à tout point de vue, je vais de mieux en mieux. »
Bien sûr, nul ne songerait à nier l’importance du mental ou du moral sur l’équilibre personnel, et même parfois sur la santé. Cependant, à la survaloriser, et à faire de l’individu seul la source et le remède de tous ses problèmes, on court le risque de s’épargner l’analyse du contexte, qui bien souvent les crée. Il y a beaucoup de déterminants qui nous échappent dans tout le négatif qui nous assiège, très souvent sociaux.
Un chômeur par exemple n’est pas responsable de la situation qui le frappe : le « développement personnel » ne lui est alors d’aucun secours. Victime objective d’une situation économique donnée, je doute fort qu’un simple coaching (habille-toi mieux, soigne davantage ton look, souris, etc.) suffise à lui procurer un emploi. Il ne faut pas s’abuser : traiter ainsi le problème serait sans proportion avec sa cause.
Émile Coué insistait aussi sur la nécessité de se concentrer sur une seule idée, en ne pensant à rien d’autre. Pour cette raison, disait-il, sa méthode ne pouvait fonctionner chez les intellectuels. En effet ceux-ci explorent devant une situation tout le champ des possibles, et donc le « monoïdéisme » ne leur convient pas.
On comprend alors la récupération politique qui a été faite de la méthode Coué dans les années 1930, par les milieux conservateurs et nationalistes français. Il s’agissait alors de ne penser qu’à une chose, et avec un élan tout à fait étranger au doute : la revanche guerrière contre le voisin allemand. Ce n’était point du tout le moment de l’introspection.
Le monoïdéisme mène à une pensée totalitaire. La positivité aussi qu’il affiche cache le réel derrière des représentations factices. Voyez la critique du kitsch, fondement de l’idéologie communiste, que fait Kundera dans L’Insoutenable légèreté de l’être : le kitsch est la négation absolue de toute la négativité inhérente à la vie. [v. Kitsch : lien]
Méfions-nous donc du triomphalisme et de l’autosuggestion. Sans doute aimerions-nous dire la phrase fameuse : Yes we can ! Au moins qu’elle ne soit pas aveuglée et exempte de réflexion...
11 mars 2010
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Ce texte est paru en son temps dans le journal Golias Hebdo. Il figure maintenant dans une collection dont fait partie l'ouvrage suivant en tant que premier tome. On peut en feuilleter le début (Lire un extrait), et on peut l'acheter sur le site de l'éditeur (Vers la librairie BoD). Le livre est aussi disponible sur commande en librairie, ou sur les sites de vente en ligne.
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DESCRIPTION
Les textes composant cet ouvrage sont tous parus, sous leur forme initiale, dans un journal hebdomadaire. Souvent inspirés par l'actualité, ce qui les rend plus vivants, ils ont cependant un contenu intemporel, et se prêtent toujours à une réflexion philosophique. Ils peuvent servir de points de départ pour la réflexion individuelle du lecteur, mais aussi ils peuvent alimenter des débats thématiques collectifs (cours scolaires, cafés-philo, réunions de réflexion...).
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