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l ne faut pas la confondre, comme beaucoup le font, avec l’isolement. Ce qui est mauvais, c’est l’isolement, qui peut créer effectivement une impression tragique d’abandon. Mais la solitude, condition humaine et condition de l’humain, est fort différente. L’assumer d’abord entièrement est le préalable toujours nécessaire pour rompre ensuite l’isolement, et pour rencontrer les autres.
Le respect pour chacun de sa solitude constitutive fait partie d’un élémentaire souci de soi : il n’est pas un défaut, malgré ce qu’on pense souvent, en confondant l’égoïsme, qui est simplement le fait de penser à soi, et l’égocentrisme, qui est le fait de ne penser qu’à soi. L’Évangile dit très bien qu’on doit aimer son prochain « comme soi-même », en sorte que si on ne s’aime pas soi-même, on ne peut aimer son prochain. Selon le mot profond de Valéry : « Si le moi est haïssable, aimer son prochain comme soi-même devient une atroce ironie. »
Cessons donc de nous complexer là-dessus, et aussi d’instrumentaliser l’autre, en en faisant un outil pour nous fuir, pour éviter de nous voir nous-mêmes et nous en détourner (sens propre du mot : divertissement). Voyez les petites annonces de rencontres dans les journaux : « N’en pouvant plus de solitude, cherche l’âme-sœur… » Autrui y est réifié, traité, au rebours de ce que dit Kant, non comme une fin mais comme un moyen. Mieux vaut alors prendre un animal de compagnie, et l’âme sœur finira au poisson rouge…
En fait, au lieu de vivre, comme beaucoup, par les autres et pour soi-même, il faudrait vivre par soi-même et pour les autres. L’autarcie au sens d’autosuffisance où le prenaient les sages antiques est le préalable et la condition nécessaires à toute bonne socialisation. Avant de s’ouvrir aux autres, ce qui évidemment est nécessaire car la vie aussi est relation, il faut d’abord s’appartenir, ce qui est littéralement se tenir à part.
Ainsi aimer l’autre est respecter sa solitude, veiller sur elle. La meilleure définition de l’amour est peut-être celle de Rilke, dans ses Lettres à un jeune poète : « Deux solitudes qui se bornent, se protègent et se rendent hommage. » Trop près l’un de l’autre, les amants s’étiolent, comme deux arbres qui se font de l’ombre parce que plantés trop proches. La promiscuité sociale, hélas ! fait trop souvent perdre cela. « Versez-vous à boire, mais ne buvez pas dans le même verre », dit aussi Khalil Gibran, dans Le Prophète. Méfions-nous d’une trop constante proximité. La devise des amants intelligents pourrait être un : « Toi sans toit ».
On sait encore le bel éloge de la solitude que fait l’évangile selon Thomas : « Heureux êtes-vous, les solitaires et les élus, parce que vous trouverez le Royaume ; comme vous êtes issus de lui, vous y retournerez. » À quoi j’ajouterai la belle devise de saint Bernard : Beata solitudo, sola beatitudo – Heureuse solitude, seule béatitude…
23 septembre 2010
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Ce texte est paru dans le journal Golias Hebdo. Il figure dans une collection dont fait partie l'ouvrage suivant en tant que premier tome. On peut en feuilleter le début (Lire un extrait), et on peut l'acheter sur le site de l'éditeur (Vers la librairie BoD). Tous les livres de la collection sont aussi disponibles sur commande en librairie, ou sur les sites de vente en ligne.

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Les textes composant cet ouvrage sont tous parus, sous leur forme initiale, dans un journal hebdomadaire. Souvent inspirés par l'actualité, ce qui les rend plus vivants, ils ont cependant un contenu intemporel, et se prêtent toujours à une réflexion philosophique. Ils peuvent servir de points de départ pour la réflexion individuelle du lecteur, mais aussi ils peuvent alimenter des débats thématiques collectifs (cours scolaires, cafés-philo, réunions de réflexion...).
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