... On commence ordinairement dans sa vie de croyant par la religion contrat, imposée par l’héritage collectif qu’on subit, et puis par réflexion et intériorisation on peut s’en émanciper individuellement, et en venir à la religion relecture respectueuse de soi. Notez bien que ce passage correspond aussi aux deux sens possibles du mot « culture », que l’on voit bien en allemand : Kultur, ou dressage, héritage subi ; et Bildung, ou formation réfléchie (Bilden : donner forme). Pour les Allemands, dans la Bildung, la Kultur est revisitée : tantôt pour sa réhabilitation, tantôt pour son abandon. Voyez aussi chez eux la tradition du Bildungsroman, ou Roman de formation. On pourrait définir la Bildung comme une Kultur à la fin mieux assimilée. De ce point de vue, le mot d’Alain est toujours d’actualité : « Il n’y a plus qu’une chose à faire : se refaire. » Ou encore celui de Gide, dans Les Nourritures terrestres : « Cette désinstruction fut lente et difficile, et véritablement le commencement d’une éducation. »
Que l’Allemagne, qui a ainsi développé la culture comprise comme formation individuelle face à l’héritage imposé, soit un pays majoritairement protestant, n’est pas pour surprendre. Certains considèrent que s’engager sur cette voie, manifestement plus familière dans le christianisme occidental aux protestants qu’aux catholiques, est dangereux, pourrait mener même à une sorte de reniement, un agnosticisme.
Mais qui nous dit maintenant que la nouvelle alliance, celle-là même qu’ont appelée de leurs vœux les prophètes juifs, ne serait pas cette religion-là, la religion relecture, inventaire de soi et de ses propres richesses ? « Voici, les jours viennent, dit Yahvé, où je ferai avec la maison d’Israël et la maison de Juda une alliance nouvelle (Septante : diathèkèn kainèn), non comme l’alliance que je traitai avec leurs pères, le jour où je les saisis par la main, pour les faire sortir du pays d’Égypte, alliance qu’ils ont violée, quoique je fusse leur maître, dit Yahvé. Mais voici l’alliance que je ferai avec la maison d’Israël, après ces jours-là, dit Yahvé : ‘Je mettrai ma loi au dedans d’eux, je l’écrirai dans leur cœur ; et je serai leur Dieu, et ils seront mon peuple.’ » (Jr 31/31-33)
Magnifique passage, où en sa fin la loi n’est plus imposée de l’extérieur, mais trouvée à la fois par réflexion, pensée, et évidence du cœur, à l’intérieur de soi : « Je mettrai ma loi au-dedans d’eux (littéralement, selon la Septante, ‘en direction de leur esprit, ou de leur pensée’, eis tèn dianoian autôn), je l’écrirai dans leur cœur (epi kardias autôn). » Cœur et pensée, et c’est remarquable, ici ne s’excluent pas. On n’abandonne pas l’alliance, on change son lieu et sa nature. C’est le passage de la transcendance à l’immanence, de la Loi extérieure à la Loi intériorisée et recueillie ou accueillie respectueusement en soi, de l’enfant qu’on dirige à l’adulte qui comprend : v. Loi*.
Il est fort dommage que l’épître aux Hébreux qui recopie ce texte n’en voie pas le sens profond (8/8-13). Elle y voit un blâme de l’attitude d’Israël, alors qu’il s’agit de la part de Dieu d’un encouragement, d’une invitation à intérioriser sa foi : « Car c’est avec l’expression d’un blâme que le Seigneur dit à Israël : ‘Voici, les jours viennent, dit le Seigneur, où je ferai avec la maison d’Israël et la maison de Juda une alliance nouvelle.’ » (v.8) Et elle décrète définitivement caduque l’ancienne alliance, comme si l’encouragement prodigué par Dieu via le prophète avait été nécessairement voué à l’échec : « En disant : ‘une alliance nouvelle’, il a déclaré la première ancienne ; or, ce qui est ancien, ce qui a vieilli, est près de disparaître. » (v.13) Il y a sans doute quelque sophisme dans cette dernière phrase. Ce type de raisonnement et de pensée constituera en tout cas, pour longtemps, le réflexe anti juif banal d’un certain christianisme.
Mais surtout cette épître oublie la finesse et la subtilité de la prophétie, relatives à la nécessité d’intérioriser la Loi dans l’esprit et le cœur, pour ne développer ensuite que l’idée du sacrifice expiatoire et du sang salvateur de la victime, engendrant à nouveau allégeance et soumission inconditionnelle du croyant pour « le grand pasteur des brebis, par le sang d’une alliance éternelle, notre Seigneur Jésus » (13/20). Certes cette « alliance éternelle » est une bien belle formule : elle vient d’Is 55/3, et de Jr 32/40. De la même façon ensuite le Canon de la Messe ajoute, dans la prière eucharistique, à l’alliance nouvelle le terme d’« éternelle ». Que d’alliances ! Mais il faut sans doute les creuser davantage, et poser à leur propos la question : quel en est chaque fois, exactement, le contenu ?
> Ce texte est extrait du tome 1 de ma Théologie buissonnière, préfacé par André Gounelle, pp.24-26 :
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Extrait de la préface d'André Gounelle : Michel Théron nous offre une agréable et instructive promenade parmi plusieurs notions fondamentales de culture religieuse. Il a choisi pour les deux tomes de cet ouvrage environ 80 mots, rangés en ordre alphabétique, qu'il commente avec la gourmandise d'un fin lettré et une tendresse amusée pour les étrangetés du religieux mais aussi attentive à ses profondeurs... Malicieux, méditatif, réfléchi, bien informé et non conformiste, (...)
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Extrait de la préface d'André Gounelle : Michel Théron nous offre une agréable et instructive promenade parmi plusieurs notions fondamentales de culture religieuse. Il a choisi pour les deux tomes de cet ouvrage environ 80 mots, rangés en ordre alphabétique, qu'il commente avec la gourmandise d'un fin lettré et une tendresse amusée pour les étrangetés du religieux mais aussi attentive à ses profondeurs... Malicieux, méditatif, réfléchi, bien informé et non conformiste, (...)
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