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otre société n’a jamais été dans les faits aussi dure, et aussi aveuglée dans ses représentations et dans son langage.
Je prendrai le seul exemple de l’enseignement, que je connais bien pour lui avoir consacré ma vie professionnelle. Les agressions des élèves ou des parents contre les professeurs se multiplient, et on se contente de les appeler, par un doux euphémisme, des actes d’« incivilité ».
Le jargon pédagogiste laisse aussi rêveur. Ainsi la notation est-elle dite « stigmatisante », et pour cette raison doit être rendue « positive » (ce qui ne veut rien dire), ou même totalement supprimée, avec les redoublements. On ne réfléchit pas que l’évaluation fait toujours partie de la vie professionnelle, sinon de la vie tout court, et qu’elle peut être, si elle est juste, une gratification très prisée des élèves, qui ont droit qu’on la leur offre.
Mais ces derniers sont maintenant des « apprenants », même quand ils n’apprennent rien parce qu’ils ne veulent pas apprendre. Gageons que Prévert, l’auteur du Cancre, se retournerait dans sa tombe si on lui disait qu’il n’y a plus de cancres, mais simplement des « apprenants en réussite différée » !
Pareillement on décourage les élèves qui ne sont pas faits pour des études abstraites, en disant : « Comment voulez-vous que les jeunes aient envie de faire un apprentissage alors qu’ils savent qu’ils vont côtoyer la lie de la société ? » (Source : Télérama, 24/10/12, p.22) Les professeurs de l’enseignement professionnel apprécieront. L’Allemagne n’a pas de ces pudeurs, et de façon plus réaliste a compris qu’un plombier, un électricien valent mieux qu’un chômeur à Bac + 5.
Qui osera dire qu’à l’école les bons élèves s’ennuient de ne pas progresser assez vite ? Qu’ils sont eux-mêmes, et ici c’est bien le cas de le dire, stigmatisés en tant que tels par leurs camarades ? Il est bien porté maintenant, chez telle ou telle vedette du sport ou du show-biz, de dire qu’on n’a rien fait à l’école. Mais pour ceux qui n’ont pas la chance d’avoir des parents « nés avant eux », l’école était jusqu’à présent le seul moyen pour l’élève méritant de s’élever. Aujourd’hui la victimisation constante de ceux qui n’y réussissent pas a changé la donne. En fait, la faillite de l’enseignement public ainsi dévoyé ne peut aboutir qu’à un seul résultat : faire le lit de l’enseignement privé, bien fâcheuse conséquence de son aveuglement.
15 novembre 2012
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Ce texte est paru en son temps dans le journal Golias Hebdo. Il figure maintenant, avec d'autres textes comparables, dans l'ouvrage suivant, premier tome d'une collection, dont on peut feuilleter le début (Lire un extrait), et qu'on peut acheter sur le site de l'éditeur (Vers la librairie BoD). Le livre est aussi disponible sur commande en librairie, ou sur les sites de vente en ligne.

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