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elle des hommes n’a pas de limites. Ainsi, au motif du danger du tabac pour la santé, on interdit maintenant aux États-Unis au condamné à mort de fumer sa dernière cigarette (Source : « La fumée vous dérange ? » documentaire diffusé sur Arte le 9 septembre dernier, à 22 H 10).
L’absurdité est à son comble : en quoi cette cigarette va-t-elle nuire à la santé de celui qui de toute façon va mourir l’instant d’après ? Mais non, on s’arc-boute sur des principes, ici l’hygiénisme, et si on a pour soi la logique, on y gagne la monstruosité.
C’est de la même façon qu’on prend bien soin de panser et remettre debout un soldat blessé avant de le fusiller pour désertion, comme on le voit dans Les Sentiers de la gloire, le film de Stanley Kubrick.
De façon comparable aussi, au nom du respect intangible de la vie, on refuse de donner la possibilité d’avorter à des femmes victimes de viol.
Voyez encore l’injonction faite au confesseur, par un saint canonisé par l’Église catholique, de menacer de l’Enfer qui l’attend le condamné qui ne veut pas se convertir, au moment même où on le mène à l’échafaud. [v. Confession]
Les animaux ne sont pas cruels. Le prédateur dans la nature ne cherche qu’à se nourrir, rien de plus. Mais les hommes posent des principes, qu’ils décrètent sacrosaints, et qu’ils suivent aveuglément. Et rien n’est plus dangereux qu’un principe, car il est posé de façon abstraite, générale.
Or la réalité est toujours complexe, variée, elle ne connaît que des cas particuliers. Lao-Tseu a raison, quand il dit au début de son Tao-te-King : « La voie vraiment voie n’est pas une voie constante. Les termes vraiment termes ne sont pas des termes constants. » L’homme à principes, au contraire, est psychorigide.
Au fond, je ne suis pas sûr que soit vraie la phrase connue d’Aristote, selon laquelle tous les hommes sont poussés par le désir de savoir. Bien plutôt ils me semblent poussés par celui de croire, de se conforter et sécuriser par un bouclier qui les met à l’abri du doute, et qui les rend fanatiques, intolérants, donc cruels.
Écoutons ici Montaigne : « Il n’y a que les fols certains et résolus. » Ou encore, notre cher Georges Brassens, dont j’édulcore à dessein la phrase pour mes lecteurs :
« Gloire à qui, n’ayant pas d’idéal sacrosaint,
Se borne à ne pas trop embêter son voisin ! »
Ce pourrait être la devise toute simple de qui veut se garder, ici-bas, de toute cruauté.
Article paru dans Golias Hebdo, 20 septembre 2012
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DESCRIPTION
Les textes composant cet ouvrage sont tous parus, sous leur forme initiale, dans un journal hebdomadaire. Ils concernent des sujets d'actualité étranges, bizarres, insolites, souvent amusants, mais se prêtant toujours à un commentaire philosophique. Ils peuvent servir de points de départ pour la réflexion individuelle du lecteur, mais aussi ils peuvent alimenter des débats thématiques collectifs (cours scolaires, cafés-philo, réunions de réflexion...).
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