Une expression me fait toujours sursauter : c’est celle de « Parole de Dieu ». Les croyants l’emploient souvent pour qualifier leur livre sacré, que ce soit la Bible ou le Coran (ce dernier est « incréé », c’est-à-dire qu’il ne fait que reprendre mot pour mot la Parole de Dieu). Chez nous « Parole de Dieu » ou « Parole du Seigneur » se disent couramment dans la messe.
Je suppose qu’il faut entendre ce génitif dans un sens subjectif, et y voir le fait que Dieu lui-même nous parle. Dans ce cas, l’expression pose problème, dans le sens où elle ignore ce qu’est véritablement une parole, et ce que, en regard d’elle, peut être Dieu.
Parler c’est opérer un choix, une section entre différents possibles, et le résultat de ce choix ou de cette section (le contenu verbal émis) sera non pas vrai, mais simplement valide par rapport à telle situation donnée. Une parole universellement vraie n’existe pas.
S’agissant de l’Essentiel, qu’on l’appelle Dieu ou autrement, aucune parole ne peut lui être attribuée, car il les excède toutes. Lao-Tseu dit très bien du Tao que celui qui peut se formuler en mots n’est pas le Tao de toujours. Il en est de même pour Dieu : toute parole qu’on pourrait lui prêter le limite forcément, car il représente par définition un infini de possibles dicibles. Dieu est plus grand que tout ce qu’on peut s’imaginer à son propos et tout discours qu’on peut lui attribuer. Le Allah Akbar ! de l’islam exprime cela. Et si on réfléchit bien il invalide toute parole particulière qu’on peut prêter à Dieu.
Qui voit Dieu meurt (Exode 33/20), et dans toute parole meurt ce qui lui donne naissance, le sentiment préalable d’une infinité possible d’assertions. C’est pourquoi les gnostiques préféraient le silence (Sigè) au Logos. Et une certaine théologie s’est voulu négative ou apophatique : de Dieu on ne peut dire que ce qu’il n’est pas.
Les paroles de Dieu, comme toutes paroles inféodées à un contexte, sont inévitablement contradictoires. Et c’est au nom de telle ou telle de ces paroles qu’on massacre les autres avec une totale bonne conscience.
Aussi je prendrai volontiers l’expression dans un sens objectif : « Paroles de Dieu » signifierait les paroles qu’on dit à propos de Dieu, dont Dieu est l’objet. Les textes apparaissent donc alors non pas comme des paroles venant de Dieu, mais comme des paroles d’hommes parlant de Dieu. C’est plus juste il me semble, et en tout cas moins dangereux.
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