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e mot est censé maintenant faire partie du domaine de l’art, mais je laisse mes lecteurs en juger au vu d’événements récents.
L’« artiste » français Abraham Poincheval a passé trois semaines à couver des œufs, enfermé dans une boîte en plexiglas au vu du public, au Palais de Tokyo à Paris. Pour son « premier travail avec du vivant », il a été récompensé de sa patience : un premier poussin vient d’éclore, lui confirmant qu’il avait lui aussi le pouvoir de « donner la vie ».
Il n’en est pas à sa première tentative : il a déjà passé huit jours dans un trou sous une pierre d’une tonne, deux semaines à l’intérieur d’un ours naturalisé, une semaine sur une plate-forme à 20 mètres au-dessus du sol devant la Gare de Lyon, traversé les Alpes-de-Haute-Provence en poussant un cylindre qui lui servait d’abri, et vécu à bord d’une bouteille géante (6 mètres de long) en remontant le Rhône (Source : LeParisien.fr., 18/04/2017).
Ces « exploits » relèvent du spectacle, du cirque ou du sport, ou bien de la téléréalité. Mais pourquoi parler d’« art » à leur propos ? Une posture, une mise en scène, même intentionnelles et voulant faire réfléchir, ne sont pas de l’art.
Ce qu’on appelle « art conceptuel » par exemple oublie qu’entre l’intention, le projet de l’œuvre, et sa réalisation il y a la médiation d’une activité spécifique, très souvent longuement et durement apprise, et la mise en œuvre d’un matériau qui lui est propre : l’art n’est pas la vie elle-même, crue et brute, il la représente ou l’évoque par des moyens techniques appropriés. Mais aujourd’hui ils ne sont pas à l’honneur, et on peut bien parler, comme le faisait Lévi-Strauss naguère, de « métier perdu ».
De là viennent les impostures de beaucoup de « performances », happenings, « installations » modernes : la nécessaire « digestion » de l’art, le fossé entre l’art et la vie n’y sont pas respectés.
Il a été ignoré aussi naguère au musée d’Orsay, le 29 mai 2014, par une « artiste » féministe luxembourgeoise qui s’est assise par terre, cuisses ouvertes, dévoilant son sexe, sous la toile de Courbet L’Origine du monde. Elle a été emmenée par la police, mais finalement elle a été relâchée, et le délit d’exhibitionnisme n’a pas été retenu contre elle. L’intéressant est ce qu’elle a déclaré : « Il s’agit d’une œuvre d’art, réfléchie depuis au moins huit ans. Ce n’est pas un acte impulsif, c’est mon regard d’artiste qui compte. » Elle voulait protester contre la censure machiste, la même qui en son temps a décrété obscène le tableau même de Courbet.
Je suis d’accord pour dire qu’elle s’est livrée à une manifestation, comme celles des Femen qui s’exposent seins nus pour défendre leurs idées. Mais cet acte est-il une « œuvre d’art » ? Et que penser de l’art contemporain, si des « artistes » de ce genre en font partie ?
[v. Art (I), Art (II), Œuvre]
Article paru dans Golias Hebdo, 11 mai 2017
Voir aussi :
Les impasses de l'Art moderne - Le blog artistique de Michel Théron
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