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n la croyait morte, mais on a tort. J’ai regardé à la télévision quelques moments des récents Jeux Olympiques, et j’ai vu que le nombre est grand des athlètes qui se signent avant l’épreuve, ou bien prient et remercient le ciel, s’ils l’ont emporté.
Dès l’Antiquité d’ailleurs on pensait que les vainqueurs l’étaient avec l’aide de Dieu, Deo juvante.
Ce réflexe archaïque et invétéré maintient les hommes dans l’enfance, oscillant entre peur et espoir devant une Puissance extérieure dont il faut éviter l’hostilité ou s’attirer la faveur, par des processus magiques et propitiatoires. Et il me semble bien insolite, et en tout cas dérisoire, de voir des adultes, souvent des colosses physiquement, se comporter comme des bébés démunis.
La théologie qui sous-tend pareille attitude est celle de la rétribution, selon laquelle ce qui nous arrive est voulu par la Puissance susdite. Échoue-t-on dans ce qu’on entreprend, c’est signe de sa colère, et le malheur qui nous frappe, de notre démérite. Voyez l’expression courante : « Mais qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu pour mériter cela ? ».
Inversement, réussit-on, c’est signe de notre élection, via une grâce qui nous a été gratuitement octroyée. Où est la responsabilité personnelle dans ce qui n’est au fond qu’une injustice dont on bénéficie ?
Finalement, absolution totale est donnée au vainqueur, et oubli est fait des mérites possibles du vaincu. C’est le règne du fait accompli, comme dans les ordalies ou dans les duels judiciaires médiévaux.
On sait que l’idéologie du capitalisme états-unien, basée sur l’idée de grâce toute-puissante qui sous-tend un certain protestantisme, glorifie le gagnant, supposé avoir Dieu avec lui, et n’a pas égard au perdant, censé avoir démérité aux yeux de ce même Dieu. Cette vision est appelée aussi parfois « théologie du succès ».
Quand les hommes grandiront-ils, et cesseront-ils d’avoir peur de leur ombre, de poser hors d’eux une Puissance qui en réalité est en eux-mêmes ? La religion-superstition est celle qui les y relie et soumet (religare). Quand consentira-t-on simplement à se relire (relegere), et à la trouver au fond de soi ?[1]
Article paru dans Golias Hebdo, 15 septembre 2016
[1] Sur la différence entre la religion qui lie et celle qui permet de se découvrir, on peut voir mes deux ouvrages La Source intérieure et Peur de son ombre – La Lumière est en nous, BoD, 2017.
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Les textes composant cet ouvrage sont tous parus, sous leur forme initiale, dans un journal hebdomadaire. Ils concernent des sujets d'actualité étranges, bizarres, insolites, souvent amusants, mais se prêtant toujours à un commentaire philosophique. Ils peuvent servir de points de départ pour la réflexion individuelle du lecteur, mais aussi ils peuvent alimenter des débats thématiques collectifs (cours scolaires, cafés-philo, réunions de réflexion...).
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