E |
lle est faite, selon le mot d’André Malraux, d’un « misérable petit tas de secrets ».
Autrement dit, la vie d’un homme n’appartient qu’à lui. L’important est ce qu’il pense et transmet aux autres par sa parole, ses écrits, ses œuvres, etc.
Or j’ai appris, par un article paru sur le site du Monde (19/09/2012), que vient d’être relancé le débat sur le mariage de Jésus. On a en effet trouvé un fragment d’évangile copte du 4e siècle, sur lequel on lit le membre de phrase suivant : « Et Jésus leur a dit : ‘Ma femme…’ » On imagine le frémissement des gens d’Église, héritiers de la tradition selon laquelle Jésus n’était pas marié…
Or cette dernière n’est apparue en christianisme que tardivement. Il y a de grandes chances d’ailleurs que Jésus en tant que juif, appelé même « rabbin » dans l’Évangile, ait été naturellement marié, le célibat étant considéré en judaïsme comme une anomalie. Les Esséniens, qui le pratiquaient, étaient fort marginalisés.
Simplement il y a eu des mouvements ascétiques chrétiens comme celui des Encratites, et progressivement la misogynie chrétienne s’est étendue, jusqu’à l’imposition finale du célibat au prêtre, sorte d’image du Christ, vu lui-même comme célibataire. Le motif fut d’ailleurs bien prosaïque : on a voulu éviter le népotisme, la partialité familiale, et aussi la dispersion, par le mariage et les héritages afférents, du patrimoine de l’Église.
On nous dit qu’aucune mention d’un Jésus marié ne se trouve dans les textes canoniques. Soit. Mais il y a un sophisme de méthode. Le texte reçu peut bien ne pas dire que Jésus était marié, mais il ne dit pas non plus qu’il ne l’était pas.
Pareillement, pour condamner le rire, au motif qu’il donne à l’homme une face simiesque, on a prétendu que Jésus n’a pas ri, comme le dit Umberto Eco dans Le Nom de la Rose. Or que le texte ne nous montre pas un Jésus riant ne veut pas dire qu’il n’a jamais ri. L’argument dit a silentio (tiré par l’absence de mention) n’est jamais probant.
La vérité est que, pour les rédacteurs des textes initiaux, des faits de ce genre n’ont aucune importance par rapport à l’essentiel, qui est la transmission d’un message, d’un enseignement.
Mais on est tellement friand de détails de vie, et aussi, dans le cas des dirigeants désireux d’asseoir leur pouvoir sur la foule en la faisant rêver sur des fictions, que le comment a remplacé le quoi, et que, selon le procédé dit aujourd’hui du storytelling, la Bonne nouvelle au sujet du Christ (Evangelium de Christo) a très vite supplanté la Bonne nouvelle du Christ (Evangelium Christi). C’est à cette dernière, toute invention biographique ôtée, qu’il faudrait, me semble-t-il, revenir.
[v. Crèche, Historicité]
Article paru dans Golias Hebdo, 4 octobre 2012
***
Cet article est extrait de mon ouvrage en deux tomes Chroniques religieuses, édité chez BoD. On peut les feuilleter en cliquant ci-dessous sur Lire un extrait. Et on peut les acheter sur le site de l'éditeur en cliquant sur Vers la librairie BoD :
14,00€Livre papier
Lire un extrait
DESCRIPTION
16,00€Livre papier
Lire un extrait
DESCRIPTION
commenter cet article …