En général l’ensemble de rêves et l’imaginaire dont peut s’entourer le désir sont constitutifs de notre humanité. Il n’est pas seulement et pas toujours réductible à la sexualité élémentaire, comme Marcuse l’a souligné dans un livre essentiel, L’Homme unidimensionnel.
Ce n’est pas la même chose de faire l’amour dans une voiture et dans un pré fleuri, au printemps par exemple : dans le premier cas, il s’agit seulement de sexualité, d’acte brut et brutal, minimal et animal, et l’homme n’a plus qu’une seule dimension ; dans le second, le désir s’élargit au paysage, aux sensations qu’il nous procure, etc. Il implique tout l’être, rêveries comprises. Il suffit de lire L’Amant de Lady Chatterley pour voir que l’amour physique même gagne beaucoup à être entouré de la vaste nature, qui l’agrandit et le poétise considérablement.
Savoir aimer est savoir parler d’amour, faire grandir le désir en l’alimentant au moyen des filtres du langage, et résister ainsi à tous les conformismes aplatissants. À l’inverse le Pouvoir totalitaire a tout à gagner dans ce que Marcuse appelle la « désublimation », où le langage s’aplatit et se « trivialise », et où disparaît l’ancienne rhétorique, si importante pourtant quand il s’agit de vivre l’amour, donc de le parler.
Traditionnellement c’est elle en effet qui multipliait filtres et écrans entre l’homme d’une part, les êtres et les choses de l’autre, et ces voilements permettaient de fouetter le désir en alimentant l’imaginaire. Exactement comme les voilements du corps : le vrai amateur d’érotisme a horreur du nudisme, et l’endroit le plus érotique d’un corps est celui où le vêtement bâille. Mais on en est bien loin aujourd’hui, à l’ère de la pornographie envahissante, des plans Q et des sites de rencontres faciles sur Internet.
Les écrivains classiques le savaient bien, dont devraient s’inspirer encore les amoureux. Ils laissaient deviner les choses et les regardaient plus obliquement que frontalement : le texte le plus réussi jouait sur la suggestion et l’allusion, il était une jupe fendue. À cela servaient par exemple les périphrases, les circonlocutions, qui tournaient autour des choses, en autant de circumambulations langagières qui les rendaient plus attirantes, comme le but d’une promenade s’enrichit des détours qu’on fait pour l’atteindre. Les métaphores aussi servaient à cela, instituant de subtils échos et ressemblances entre les choses, les êtres, les sentiments. Comme les pierres d’un cours d’eau s’embellissent des infinies nuances que leur donne le courant au-dessus d’elles, en les diaprant des reflets lumineux dus au ciel et aux nuages. Mais tout cela se perd, quand à la rhétorique amoureuse du détour et de l’esquive, au hors-champ du discours, succèdent le mot cru, la chose nue. Quand à une : « Dame de mes pensées », ou à un : « Je t’ai donné mon cœur », succède un : « Où, quand, combien ? »…
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Ce texte est tiré de la dernière édition de mon ouvrage Savoir aimer - Entre rêve et réalité. En voici la présentation dans la quatrième de couverture :
Aimer au sens humain du mot n'est pas quelque chose de spontané. Cela s'apprend tout au long de la vie, et par une réflexion à quoi ce livre veut contribuer.
Il ne défend aucune vision normative de l'amour. Il traite d'abord de l'amour-passion, qui se nourrit de désir et de rêves. Puis de l'amour-compassion, qui affronte le réel. Ensuite, il met en lumière les dangers qui guettent l'un et l'autre : l'oubli d'autrui pour le premier, le sacrifice de soi pour le second. La dernière partie montre ce que pourrait être un bon usage de l'amour, exempt de ces deux dangers, et triomphant de la prose de l'existence au moyen de l'humour.
Pour feuilleter le début de l'ouvrage, cliquer ci-dessous sur : Lire un extrait. Pour le commander sur le site de l'éditeur, cliquer sur : Vers la librairie BoD.
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