Un million de couples se sont séparés en France après la crise du Covid. Ce m’est donc ici une occasion de réfléchir sur l’espace vital nécessaire à chacun pour vivre sans stress, et plus particulièrement sur la distance minimale à assurer entre les êtres pour qu’un couple puisse bien vivre sa relation.
Bien sûr ces séparations ont été causées par l’exigüité des logements, et on comprend que ceux et celles qui en sont arrivés à ces décisions sont avant tout des victimes. Il faut les plaindre, et accuser le système économique libéral qui par désir de profit fait construire des immeubles avec des appartements de plus en plus petits.
Cela étant, on peut tirer aussi de cette situation une conclusion psychologique. Bien sûr nous rêvons toujours d’une symbiose, d’une vie commune de tous les instants avec l’être que nous aimons. Mais c’est une illusion. Schopenhauer comparait les hommes à des porcs-épics. Éloignés les un des autres, et ayant froid, ils se rapprochent pour se réchauffer. Mais aussitôt ils se piquent et se blessent, et alors ils s’éloignent à nouveau. Et le cycle rapprochement-éloignement recommence, sans fin.
La vérité est que chacun a droit à son espace de solitude (qui n’est pas l’isolement), pour se retrouver et s’appartenir : c’est-à-dire se tenir à part. Virginia Woolf a écrit de belles pages sur la nécessité, pour une femme, d’avoir une chambre à soi. L’amour meurt dans la promiscuité, dans ce que j’ai appelé le « syndrome des chaussettes sales » (voir mon livre Savoir aimer – Entre rêve et réalité, BoD, 2022). Partager à deux un lieu trop petit ne peut mener qu’à des fâcheries, la part de mystère propre à chacun n’étant plus respectée. Combien en connaissons-nous, déjà, qui font chambre commune, mais rêve à part !
Deux arbres plantés trop près l’un de l’autre se font de l’ombre, et ne poussent pas correctement. « Versez-vous à boire, mais ne buvez pas dans le même verre », dit Gibran dans Le Prophète. Finalement la meilleure définition de l’amour mature est celle de Rilke, dans ses Lettres à un jeune poète : « Deux solitudes qui se protègent, se bornent et se rendent hommage. »
J’ai bien conscience qu’à ce que je dis on peut objecter les nécessités pratiques de la vie. Néanmoins, je pense que ma défense de l’intimité irréductible de chacun peut faire réfléchir sur le catéchisme de l’amour fusionnel, à quoi le Romantisme nous a habitués.
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L'image ci-dessus est ce qu'on pourrait appeler une syllepse plastique, en ce qu'elle contient deux profils de visage, l'un féminin et l'un masculin. Mais l'esprit ne peut pas les voir en même temps. Il voit tantôt l'un, tantôt l'autre. D'où ma légende : Ne faire qu'un - Mais lequel ?
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